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tout bêtement, comme peut l’être un homme sans aucun romantisme, inapte aux « sentimens sublimes » ; et Goethe dut se retirer. « Le récit de Poésie et Vérité, dit M. Gnad, ne nous apprend pas grand’chose sur cette relation et sur son état d’âme à ce moment-là ; mais nous avons toute raison de croire que cette liaison fut beaucoup plus passionnée que le ton mesuré et retenu de son récit ne le fait supposer. On peut sûrement admettre que, là aussi, Goethe éprouva un peu de la douleur de cette séparation sans espoir qui conduit à sa perte le héros de son roman… Dans son œuvre, la femme de Kestner se confond en une seule image avec Maximilienne, le fiancé Albert emprunte quelques traits à Brentano. » Admettons ce dernier point : ce n’est pas sur l’excellent Kestner, modèle de confiance aveugle, que Goethe avait pu observer la jalousie ; et puisqu’il a fait de son Albert un jaloux, — mais un jaloux tranquille, modéré, un jaloux honteux de l’être, qui ne manifeste sa jalousie qu’avec sagesse et réflexion, — il ne nous en coûte rien d’accorder que ce fut Brentano qui « posa » pour ce trait-là. Accordons aussi, si l’on y tient, qu’il ait pris à Maximilienne les yeux noirs de son héroïne. Mais là s’arrête la ressemblance. Pour le reste, le roman se rapporte bien à l’aventure de Wetzlar, moins toutefois la violence. Et cette violence il ne faut pas la chercher davantage dans l’épisode de Maximilienne. Car l’hypothèse de M. Gnad est toute gratuite : il néglige de nous exposer sur quelles bonnes raisons il l’appuie. On ne trouverait pour soutenir son assertion qu’une nouvelle phrase de Merck dans une autre lettre à sa femme (14 février) : « Il (Gœthe) se détache de tous ses amis et n’existe que dans les compositions qu’il prépare pour le public. Il doit réussir dans tout ce qu’il entreprend, et je prévois qu’un roman, qui paraîtra de lui à Pâques, sera aussi bien reçu que son drame. A côté de cela, il a la petite Mme Brentano à consoler sur l’odeur de l’huile, du fromage et des manières de son mari. » Mais cela est-il autre chose qu’une médisance d’ami ? En tout cas, les lettres à Mme de La Roche, invoquées par M. Gnad, ne nous autorisent point à croire que Goethe perdît un instant son sang-froid pour l’amour des yeux noirs, ni que la nature ardente de Maximilienne l’entraînât plus loin que la confortable coquetterie de Charlotte. Les phrases les plus suggestives qu’on y peut relever n’ont pas un sens bien inquiétant : « Si vous saviez ce qui s’est passé en moi avant que je me décide à éviter la maison, vous ne chercheriez pas à m’y ramener… » ou bien : « Croyez-moi, le sacrifice que je fais à votre Max de ne plus la voir a plus de prix que l’assiduité du soupirant le plus ardent, qui n’est au fond que de l’assiduité. Je ne veux pas compter ce