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hésitant, peureux. Le temps approche où il fera défaut pour les grandes entreprises. Dès qu’on ne peut plus en faire de bonnes sans être accusé de malhonnêteté, qui voudra s’adonner aux affaires ? Dès qu’on ne peut plus diriger une industrie prospère sans être traité par ses ouvriers en suspect et même en ennemi, qui voudra accepter une telle charge ? On s’étonne, on s’émeut, quelques personnes s’indignent de l’attitude de la Compagnie de Carmaux : que dira-t-on le jour, — et peut-être est-il prochain, — où une compagnie, en présence de grèves sans cesse renouvelées, déclarera qu’elle renonce à une entreprise où elle ne trouve plus la rémunération de son argent et de ses peines, et qu’elle renvoie ses ouvriers parce qu’elle liquide ? Cela se verra, et on verra aussi les capitaux français chercher au-delà des frontières un emploi avantageux qu’ils ne trouveront plus en France. Le socialisme n’est qu’à ses débuts, et, quoi qu’on en dise, nous ne croyons pas qu’il soit en croissance ; les dernières manifestations qui viennent d’avoir lieu n’ont pas tourné à son avantage ; mais, s’il en était autrement, et si les progrès dont il se vante correspondaient en effet aux vœux et aux prophéties de ses représentans, c’en serait bientôt fait de l’industrie française. La poule aux œufs d’or à laquelle nous devons une grande partie de notre richesse nationale cesserait de produire, bientôt de vivre, et enfin de faire vivre quelques milliers de patrons ou d’actionnaires et plusieurs millions d’ouvriers. Le danger de l’avenir est là, et il faut le regarder en face. Aussi M. Rességuier, quels qu’aient été les motifs de la résolution qu’il a prise et quel que soit le parti qu’il prendra par la suite, aura-t-il rendu un service signalé en rappelant aux ouvriers ce qu’est un contrat. Il était bon de leur faire sentir par une leçon de choses que, si les patrons ont des responsabilités, ils en ont eux aussi, et qu’elles pourraient subitement devenir lourdes à leurs épaules. La grève de Carmaux n’aura pas été inutile si elle fait entrer cette idée dans leurs esprits.

Après cette grève, qui attire encore tous les regards, est-il permis de dire un simple mot de celle de Champagnac-les-Mines ? Elle s’est terminée à la satisfaction générale, et, fait sans précédent, la direction de l’entreprise d’une part et les ouvriers de l’autre ont adressé des remerciemens au préfet du Cantal et au sous-préfet de Mauriac. Nous n’avons qu’à y joindre les nôtres. Cette grève, on le voit, pourrait servir d’exemple, sauf en ce qui concerne sa durée. On ne s’expliquerait guère qu’elle ait pu se prolonger pendant trois mois, si on ne savait que la plupart des ouvriers étaient du pays, et qu’ils sont allés travailler dans les champs pendant la belle saison, ce qui vaut bien autant que de travailler sous terre. Lorsque la fenaison, puis la moisson ont été faites, ils se sont montrés mieux disposés envers la société minière ; l’accord s’est fait par l’entremise de l’administration préfectorale, et la grève s’est terminée par une fête où l’on a dansé sous les