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conception de petite fille. Mais, nous inclinons plutôt à considérer don Juan comme une dupe que les femmes exploitent de la puberté à l’extrême décrépitude, et qui n’en a jamais pour son argent. Nous nous figurons le vice meilleur enfant au début et moins aisé à convertir quand il est endurci. Nous n’admettons pas volontiers que trente jours de félicité conjugale suffisent pour créer une conscience qui n’existait pas ou pour éveiller une conscience qui a dormi pendant quarante ans. Si la moralité est innée, elle a dû se manifester plus tôt ; si elle est acquise, il lui faut, pour atteindre à ce degré de précision et de sensibilité, plus de temps que la durée commune d’une lune de miel.

La situation qui a transporté la critique anglaise est celle-ci : La femme du séducteur a, sans le savoir, recueilli chez elle la victime ; elle veut l’aider à confondre celui qui l’a trahie, et son cœur se brise quand elle voit sur qui tombe le châtiment. Je reconnais que l’approche de cette découverte, conduite avec beaucoup d’habileté et de puissance, cause une véritable angoisse au spectateur, et que la scène suivante entre le mari et la femme maintient l’émotion à la même hauteur. Mais par combien de coïncidences invraisemblables a-t-il fallu acheter ce précieux moment ? Le hasard a dû conduire Janet à la gare de Paddington en même temps que Leslie et son frère ; le hasard a dû donner cette même Janet pour demoiselle de compagnie à miss Stonehay, l’amie de pension de Leslie ; il a dirigé le voyage des Stonehay précisément vers la villa des Renshaw ; il a ménagé l’indisposition de Janet et le départ de Dunstan, pour que les deux femmes puissent s’intéresser et s’attacher l’une à l’autre. Il a voulu que Janet aperçût Dunstan en compagnie de lord Dan-gars afin que la confusion fût possible entre ces deux hommes, et que ce lord Dangars, l’ami de Dunstan, fût fiancé à Irène Stonehay, qui est l’amie de Leslie. Et malgré toutes ces complaisances du hasard, le bonheur des Renshaw pourrait être sauvé, et ils passeraient sans s’en douter à côté de ce danger terrible, et la fameuse scène ne viendrait jamais si on permettait à Janet de partir comme elle le désire, et comme le bon sens et la pudeur lui en font une loi. Qui l’oblige à rester ? Qui lui conseille cet esclandre ? C’est Leslie, et je ne peux pas m’empêcher de trouver l’idée fort grossière pour une personne aussi délicate. Ce conseil est appuyé des raisons les moins solides, les plus déraisonnables du monde. On trouverait vingt réponses décisives aux pitoyables argumens de la jeune femme ; mais il faut bien que Janet soit convaincue : sans quoi où serait la péripétie de cet « acte sans défauts ? »