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sans déplacement, rien que par l’absorption d’un plat de champignons vénéneux, imprudemment choisis par lui dans la forêt voisine. Il l’obtiendrait en se penchant un peu trop par la fenêtre d’un wagon, sous les tunnels du chemin de fer de ceinture parisien. Comme il est vingt manières de prendre congé volontairement de l’existence, sans suicide apparent, les compagnies ne sont en réalité garanties de ces supercheries tragiques que par le désir commun à tous les êtres de prolonger leurs jours.

Pour ne pas trop rebuter leurs agens, que le refus d’une police proposée décourage, pour lutter surtout avec plus de fruit les unes contre les autres, les sociétés ont été amenées à augmenter à l’envi le taux des commissions. De 30 pour 100 sur la prime de première année, ces commissions se sont élevées à 50, puis à 70 pour 100. Ainsi la concurrence, au lieu de profiter au public par l’abaissement des tarifs, se trouvait, en raison de cette hausse des courtages, uniquement exploitée au profit d’intermédiaires. Mais l’assuré a su s’arranger pour y participer de deux manières, l’assuré parisien surtout : il s’abouche directement avec l’administration, et exige, avant de souscrire une police, la promesse de bénéficier lui-même des remises dont il connaît l’importance.

Cette pratique n’a rien de choquant ; et cette autre ne l’est pas davantage qui consiste, de la part des agens, à se concurrencer vis-à-vis des assurés, en leur offrant d’eux-mêmes une remise sur la première année, qu’ils prélèvent sur leurs courtages. Le système est tellement usité, dans les assurances contre l’incendie, qu’il y a aujourd’hui très peu de personnes à ne pas profiter d’une partie, sinon de la totalité, de la remise annuelle de 20 pour 100, concédée par les compagnies aux intermédiaires dans cette branche. En matière d’assurance sur la vie, l’assuré étant toujours libre de verser une deuxième prime ou de s’arrêter, il advient qu’un individu qui ferait la navette entre les diverses sociétés, contractant chaque année une police nouvelle à une nouvelle administration, bénéficiant chaque ; fois du courtage à 70 pour 100, se trouverait assuré pour moins du tiers de la valeur. Sans pousser au maximum l’exercice organisé de cette indélicatesse, on a vu nombre de courtiers, dénués de scrupules, conseiller à leurs cliens le rachat des polices pour les assurer à nouveau dans une compagnie rivale. C’est pour obvier à cette instabilité de la clientèle, qui leur impose un accroissement de frais et pèse indirectement sur les cliens stables que plusieurs compagnies ont. récemment décidé d’échelonner, sur les quatre ou cinq premières années des contrats, le paiement de cette commission effectué jusqu’alors en un seul bloc, au moment de la conclusion de l’affaire.