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le pontife : compare carissimo. On peut dire que sous le pontifical de Paul III, San Gallo conserva la direction de tous les travaux qui avaient un rapport direct ou indirect avec l’architecture et l’art des fortifications. Avec la permission ou sur l’ordre exprès du pape, il se transporte successivement à Gênes, à Castro, à Népi, à Pérouse, à Plaisance, et partout il laisse des traces durables de son passage, ce qui ne l’empêche pas de construire à Rome la chapelle Pauline, la Sala Regia et de poursuivre, comme architecte en chef, l’édification de la basilique vaticane et du palais Farnèse.

Cependant, en dépit de la prodigieuse activité de San Gallo et des sommes énormes mises à sa disposition, ni lui ni le pape Paul ne devaient voir terminer le palais dont ils avaient de concert entrepris la restauration. L’architecte s’éteignit le premier en 1546. Le pape le suivit de près dans la tombe. A San Gallo succéda Michel-Ange, à Michel-Ange Vignola. Vignola disparut à son tour, et le palais, grandissant toujours, restait toujours inachevé. L’inscription proclamant que les travaux d’architecture avaient pris fin ne fut placée sur la façade méridionale que par Giacomo délia Porta. On était arrivé à l’année 1589.

Toutes proportions gardées, le palais Farnèse a donc éprouvé les mêmes vicissitudes que Saint-Pierre. Les hommes, les grands hommes surtout ont une tendance naturelle à former des desseins qu’ils ne sont pas en état d’exécuter. Ils se jettent dans les plus vastes entreprises comme si l’avenir leur appartenait. Jules II et Bramante étaient trop vieux pour caresser l’espoir d’inaugurer la basilique dont ils posaient si solennellement la première pierre au printemps de 1506, mais le pontife devant qui tout pliait se flattait certainement que ses successeurs immédiats tiendraient à honneur d’achever cette merveille d’architecture sans rien changer au projet du maître d’Urbino. Il se trompait. Le plan de Bramante ne devait pas être mieux respecté par Raphaël et San Gallo que celui de San-Gallo par Michel-Ange et délia Porta. Sur le penchant de la colline vaticane comme au Campo de’ Fiori, les architectes succèdent aux architectes, et chacun d’eux se hâte d’apporter quelque modification à l’œuvre de ses prédécesseurs. A chaque changement de direction correspondent des innovations plus ou moins radicales, presque invariablement malheureuses. On croit corriger, embellir ; on gâte et on détruit. Ce n’est pas seulement en matière d’architecture que l’on peut dire justement, en commentant le mot célèbre : Continuatore, traditore !


FERDINAND DE NAVENNE.