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au moyen âge, tiré de cette tentative, dans quelle mesure elle avait réussi et comment ils avaient su adapter la civilisation chinoise aux qualités propres de leur génie national. Il n’est personne qui ne se soit en effet demandé s’ils ne faisaient pas fausse route, s’il était possible à un peuple de se transformer comme ils le veulent faire, s’ils n’allaient pas perdre leur originalité et leurs qualités propres, sans acquérir des qualités équivalentes.

Une vérité semble clairement ressortir de l’histoire : c’est l’impossibilité des transformations soudaines. La nature n’opère que par gradations insensibles. C’est là un axiome aussi exact dans l’ordre moral que dans l’ordre des choses physiques. L’Europe a mis des siècles pour passer du régime féodal et des institutions du moyen âge au régime et à la civilisation que nous avons sous les yeux. Volontiers on engagerait les Japonais à s’imposer les mêmes transitions. Or ils n’entendent pas procéder ainsi.

De quel côté est l’erreur? Peut-être l’expérience tentée au moyen âge fournira-t-elle à cet égard quelque lumière.

Ce n’est pas qu’il y ait identité complète entre le phénomène ancien et le nouveau. En histoire, les événemens sont trop complexes pour qu’on trouve jamais autre chose que des analogies, et telle condition semblait tout d’abord secondaire qui prend ensuite une importance décisive et change le dénouement du tout au tout. Il n’en est pas moins nécessaire toutefois d’étudier le passé d’un peuple pour connaître ses ressources et ses défauts. La race japonaise a, dans les événemens que nous allons raconter, fait preuve de qualités remarquables. Ces qualités ont-elles disparu et, si elles subsistent, suffiront-elles au succès espéré? L’effort à faire n’est-il pas trop grand?

Cette question n’est d’ailleurs pas la seule que provoque la révolution pacifique du Japon. Il nous importerait, par exemple, beaucoup de savoir si les Chinois ne suivront pas le mouvement imprimé par leurs voisins ; si, par l’effet même des progrès accomplis, ces marchés de l’Extrême-Orient, aujourd’hui ouverts à nos produits, ne se fermeront point un jour, comme s’est fermé le marché américain, et si ces peuples ne viendront pas alors nous faire sur nos propres places une redoutable concurrence ; enfin si leur influence s’exercera sur notre idéal moral et religieux, comme elle s’est exercée déjà sur notre esthétique. Nous posons ces questions sans prétendre à les résoudre. Nous voudrions surtout faire ressortir les analogies et les différences du mouvement actuel et de la révolution des VIe et VIIe siècles, et du même coup indiquer par quelques traits le degré de culture auquel est parvenu le Japon moderne.