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se répandre dans l’archipel japonais. Qu’étaient donc alors ses habitans? Il importe de le savoir puisque c’est alors que débute la révolution que nous avons entrepris d’exposer. Ma-touan-lin transcrit dans son encyclopédie la relation d’une visite faite en l’an 600 par des ambassadeurs japonais à la cour de Chine, et tout spécialement la description qu’ils donnèrent de leur pays. Or cette peinture met en relief un trait particulièrement significatif. Les envoyés assurent qu’avant de connaître l’écriture chinoise par les livres bouddhiques venus de Corée, leurs compatriotes n’avaient pas d’écriture, mais qu’ils gravaient certaines marques sur du bois et comptaient au moyen de nœuds faits à des cordes. Voilà qui en dit long sur l’état social des Japonais avant l’introduction du bouddhisme. Quelques marques gravées sur du bois et quelques nœuds faits sur des cordes ne constituent ni une écriture ni un système de numération. On se demande si les germes de civilisation déposés au Japon vers 405 n’avaient pas été complètement étouffés. Quoi qu’il en soit, et même en supposant quelques exceptions, on peut considérer comme établi que les Japonais, pris en masse, n’étaient guère plus civilisés au milieu du VIe siècle que les francs de Clovis.

Le bouddhisme recruta ses premiers adhérens dans les hautes classes. Aujourd’hui encore ce sont les plus ardentes aux nouveautés. D’abord persécutée, la nouvelle religion ne tarda pas à triompher et sous le titre de régent, le chef du mouvement devint maître absolu du pouvoir. Ce prince connu sous le nom de Shotokou Taishi a laissé, en 17 articles, une sorte de testament politique dont le texte a été fidèlement conservé. Or un seul de ces articles parle du bouddhisme. Presque tous les autres semblent inspirés de Confucius. Ainsi déjà le bouddhisme et le confucéisme, qui, en Chine, divisaient les esprits en fractions ennemies, étaient, au Japon, concurremment acceptés par les lettrés.

A aucune époque d’ailleurs les Japonais n’ont fait preuve d’intolérance religieuse. Plus curieux que fanatiques, ils répugnent aux fortes croyances et n’aiment rien tant qu’examiner, comparer et comprendre. La difficulté de concilier les deux doctrines en ce qu’elles avaient de contraire les inquiétait médiocrement.

Cet éclectisme des savans allait pénétrer dans la nation tout entière. Les bonzes avaient prêché la bonne nouvelle; on avait fait venir les livres sacrés. Mais, pour les comprendre, il avait fallu préalablement étudier l’écriture chinoise. Une fois en possession de celle-ci, les Japonais s’étaient bien vite attachés à lire les grands classiques, les ouvrages de science, de morale et de législation. D’autre part, il fallait aux prêtres de riches étoffes, des idoles dorées et des vases en terre ou en bronze. C’est ainsi