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« sur l’autel de Mentana, l’augure d’une aurore nouvelle ». Son ami le député Imbriani était plutôt hostile à toute solennité, tant que Trieste serait séparée de la patrie.

En tout autre pays, entre deux séries de manifestations, l’une officielle, l’autre révolutionnaire, des heurts se produisent; la première réprime la seconde, à moins que la seconde n’expulse la première. Il n’en est point ainsi, en Italie. Suivant les heures et suivant les convenances, on est également expert à esquiver les conflits ou à les créer; et puis une ville qui a un air de fête inspire à tous une aimable humeur. J’augurerais enfin qu’un certain nombre de vétérans passèrent volontiers d’un cortège à l’autre, pour s’exalter deux fois et pleurer à deux reprises leur vieux chef Garibaldi.


VII

Ce n’est point en paradant que les catholiques prouvent leur force, c’est en boudant. Leurs maisons, nombreuses à Rome, sont demeurées vierges de tout drapeau. Contagieuse est la bouderie : les hôtels, les grands magasins, qui ont besoin du parti noir comme du parti blanc, « combinent » leur façade, et ne la pavoisent, en somme, que très discrètement. C’est à Rome un dicton, que les solennités du pape, attirant un public cosmopolite, sont plus lucratives que celles de la nation ; il faut donc ménager les deux clientèles, et la première surtout. Voilà pourquoi les fêtes, ici, ont en général quelque chose d’incomplet; et toujours on y trouve de la grâce (le contraire est-il possible en Italie? ), mais jamais une unanime bonne grâce.

Nombreux sont les catholiques dans les conseils municipaux de la péninsule, et même des plus grandes agglomérations, Rome, Milan, Turin, Venise, Bologne, Naples; ils sont majorité dans ce dernier hôtel de ville. Partout où ils ont fait loi, ils se sont prononcés contre l’anniversaire; ils ont refusé d’y envoyer des délégués. Nulle contre-manifestation, d’ailleurs, mais une passivité de sourds-muets, une invincible force d’inertie. Cette attitude prouve que l’unité nationale de l’Italie est encore inachevée, tout comme en est inachevée l’unité morale, si l’on en croit M, Antonio Fratti, et l’unité territoriale, si l’on en croit M. Imbriani.

Voilà vingt-cinq ans que, par ordre d’en haut, les catholiques italiens se désintéressent de la vie parlementaire de leur pays. Un de leurs notables, que j’ai visité à l’occasion des fêtes, m’expliquait cette tactique. « Je sais, me disait-il, qu’à l’étranger elle fut longtemps mal jugée. Pie IX passait pour entêté; on ne