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Ils pratiquaient, comme l’avaient fait les Gaulois, la propriété familiale. Leur prétendue liberté politique n’est qu’une illusion[1]. D’ailleurs, ils n’envahissent pas la Gaule, à proprement parler; ils s’y infiltrent par petites bandes, « appelées par les Romains et aussitôt romanisées ». Les Gaulois, qui n’avaient été nullement asservis par les Romains, ne sont pas non plus traités en race inférieure et servile par les Germains. « Ceux-ci pillent et usurpent, mais ils n’opèrent pas de déplacement en masse de la propriété ». Ils ne changent rien ni dans le régime des personnes, ni dans celui des biens. Quand les francs dominent et substituent leur monarchie à la puissance romaine, c’est toujours le droit romain qui l’emporte sur le germanique. Quand la monarchie franque devient impuissante à assurer la sécurité des personnes, des biens et du travail, on cherche d’autres garanties, et le régime féodal s’introduit en Gaule, comme il s’était produit, sous l’action de causes analogues, dans des sociétés antérieures. Ce régime, dont les Allemands ont voulu faire honneur à leurs ancêtres, n’est pas un accident propre à l’Europe du moyen âge, ni quelque chose de « germanique », mais une des formes normales et générales du progrès social dans l’humanité[2]. Qu’est-ce que les races ont ici à voir? La vraie explication est dans « les processus sociologiques ».

Malgré certaines exagérations qu’on peut reprocher à Fustel de Coulanges, sa thèse reste vraie, et c’est dans la sociologie (dont il eut pourtant le tort de méconnaître lui-même l’existence comme science spéciale) qu’on doit chercher les raisons les plus profondes du développement national, partie intégrante du développement humain. Or, à ce point de vue, l’influence germanique en Gaule fut en effet très secondaire. Mais, ce que Fustel de Coulanges a négligé de considérer, ainsi que les autres historiens, c’est l’influence ethnique des francs. Précisément parce qu’ils s’infiltrèrent peu à peu, se mêlèrent aux populations, en firent pour ainsi dire la conquête physiologique, ils durent apporter des élémens à la constitution du peuple français. La race dolicho-blonde s’était peu à peu affaiblie, usée, éliminée elle-même par

  1. Fustel de Coulanges, le Bénéfice, p. 12.
  2. Il y a analogie entre la clientèle antique des Romains, la clientèle des Gaulois et le servage germanique; entre la lente révolution qui fit du client un possesseur, puis un propriétaire du sol, et celle qui fit des serfs de la glèbe des serfs abonnés, puis des paysans propriétaires ; entre les transformations de l’armée dans la cité antique après que la plèbe y entra et celle des armées du moyen âge après rétablissement des communes ; entre ces communes mêmes, nées de la prospérité des classes moyennes, et la démocratie antique, née du commerce et de la substitution de la richesse mobilière à l’immobilière.