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que par la race : les musulmans manifestant sans cesse leur mépris pour les pagodes peuplées d’idoles, et les Hindous affectant volontiers de troubler du tapage de leurs processions le recueillement des mosquées. Dans la seule présidence de Madras, il y a plus de deux millions de musulmans exerçant toutes les professions, de préférence celle du commerce. Ils sont plus de cinquante millions dans la péninsule, et font d’excellens soldats ; mais les Anglais les tiennent un peu en défiance en raison précisément de leurs aptitudes militaires. Et puis n’ont-ils pas été, jusqu’au dernier moment, les alliés des Français? Je ne saurais dire l’émotion que j’ai éprouvée, lors de mon voyage dans le Mysore, quand j’ai vu, intactes encore en dépit des combats livrés sous leurs murailles épaisses, les fortifications élevées par les officiers français. Seringapatam, Bangalore, tout pleins du souvenir de Tippou, le vaillant successeur de Hyder Ali Khan, évoquent un passé glorieux et douloureux à la fois pour une âme française. Les Anglais ont abandonné la forteresse de Bangalore au maharajah hindou dont ils ont restauré la dynastie après la défaite de nos alliés. Là, j’ai vu la maison de Tippou avec ses arcades mauresques peintes et dorées et d’une si belle ordonnance. Je me suis arrêté longuement dans ce décor militaire et oriental, devant ces parois rouges qui ont vu nos soldats et ceux du sultan tenter en commun un dernier et suprême effort.

Les musulmans nous furent des alliés fidèles, on le voit, longtemps après l’inqualifiable disgrâce de Dupleix. Ils sont demeurés nos amis, dans l’ensemble. L’un d’eux m’apportait, un jour, avec une expression de fierté, le brevet de « soubédar » décerné à son aïeul par les Français ; un autre me montrait un sabre d’honneur qui lui venait de nos généraux. Dans le Mysore, ils font la confidence de l’exclusion relative où on les tient des fonctions publiques. Je n’en ai presque pas rencontré dans les réunions officielles.

J’avais reçu un carton : His Highness the Maharajah of Mysore requests the pleasure of your company at a garden party, etc. A mon grand regret, je ne pus me rendre à l’invitation de Chama Rajendra Oudeyar, mais je le vis dans une fête donnée par le résident anglais et à laquelle j’assistais en touriste. De taille moyenne, le visage rond comme la pleine lune, une moustache noire, épaisse, portant gaiement ses trente-cinq ans, le maharajah était vêtu d’un ulster, chaussé de bottines vernies et coiffé du turban. Sa grande distraction est de conduire son four-in-hand. Il laisse à ses ministres le soin d’administrer la principauté et de mettre en coupe réglée les immenses richesses minières qu’elle renferme. De son côté il se livre avec entrain à tous les sports favoris des Anglais, tout en observant les rites du brahmanisme