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à l’Académie. Le savant réclamait pour ses seules études le bénéfice de la méthode expérimentale : « L’erreur d’Auguste Comte et de M. Littré, disait-il, est de confondre cette méthode avec la méthode restreinte de l’observation. Étrangers tous deux à l’expérimentation, ils donnent au mot expérience l’acception qui lui est attribuée dans la conversation du monde, où il n’a point du tout le même sens que dans le langage scientifique. » La thèse de Pasteur pouvait se résumer dans cette affirmation : Vous autres ouvriers des champs voisins, vous n’avez que les pauvres outils de l’observation et de l’induction : ils ne vous donneront jamais la certitude, réservée à nous seuls. — Renan ne défendit pas l’erreur des positivistes, trop apparente à son esprit clairvoyant ; il revendiqua pour la critique la dignité de méthode scientifique, il essaya de prouver qu’elle peut aussi procurer quelque certitude, au moins la certitude dans la négation. En était-il très convaincu, le délicieux ironiste qui concluait ainsi : « Le résultat final, c’est encore que le plus grand des sages a été l’Ecclésiaste, quand il représente le monde livré aux disputes des hommes, pour qu’ils n’y comprennent rien depuis un bout jusqu’à l’autre » ? — Ce sérieux Pasteur voulait comprendre le bout qu’il tenait. Dans cette joute du pot de fer contre le pot de cristal, ce n’est pas le pot de fer qui fut vaincu.

Le positivisme qu’il malmenait n’était pourtant qu’un excès de l’esprit scientifique, tout-puissant pendant la seconde moitié de notre siècle, et auquel le savant devait ses triomphes. Grâce à cette disposition générale, la méthode expérimentale avait pu se répandre et s’imposer à tous, l’attention publique était éveillée sur des découvertes qui se prouvaient avec les seules preuves en faveur. Qui sait si, en d’autres temps. Pasteur se fût tenu à sa méthode avec la même constance ? Il s’y attacha avec une soumission effrénée, si l’on peut associer deux mots qui peignent sa servitude volontaire devant le creuset d’expériences. Non pas qu’il fût rebelle à l’intuition ni qu’il s’interdît l’hypothèse : il savait que, sans l’intuition, le mieux armé des savans demeure un médiocre préparateur. La caractéristique de son génie fut un admirable équilibre entre les suggestions de l’inspiratrice intérieure et le témoignage du fait qui les contrôle, les justifie ou les réfute. Éclairé par l’intuition et gardé contre ses caprices, il s’enfonça dans le monde souterrain de la vie avec cette lampe de mineur, résigné à ne libérer jamais la flamme que sa prudence emprisonnait.

Ce don de divination attentive, impitoyable à elle-même tant qu’elle ne s’était pas vérifiée, se révéla tout entier dans sa première découverte. Les travaux subséquens de Pasteur frappent