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la démocratie, au suffrage universel ; voire même au socialisme, envisagé comme l’association des petits intérêts qui se liguent pour mieux vivre aux dépens d’un grand corps. Les transformations de l’État moderne et les fermentations des masses populaires n’ont pas attendu pour se produire l’exemple du Mycoderma aceti ; elles ne s’arrêteraient point parce qu’un savant trouverait une autre explication des phénomènes vitaux. Il n’en est pas moins vrai que l’homme, toujours incertain et inquiet sur la valeur de ses frêles constructions, leur cherche un patron dans l’éternel modèle, dans la nature ; qu’il est encouragé et rassuré quand cette sage nature lui montre ou paraît lui montrer, réalisées dans l’œuvre éternelle, des intentions semblables à celles qu’il s’efforce de réaliser dans son œuvre éphémère. La doctrine pastorienne annonce une de ces conformités. Elle constate la loi du nombre, elle découvre les sources de la vie et les causes de la mort dans une infinité d’êtres très faibles, qui deviennent tout-puissans par leur réunion, qui triomphent des plus robustes organismes. Elle nous livre cette découverte à l’heure où nos sociétés font sur elles-mêmes un travail commandé par des constatations identiques. Qui refuserait de réfléchir sur cette simultanéité ? C’est tout ce que l’on peut dire aujourd’hui. Aller plus loin, confondre la tâche du sociologue et celle du physiologiste, ce serait retomber dans l’erreur que nous reprochions au positivisme ; et l’on compromettrait le legs philosophique de Pasteur, riche de conséquences à longue portée, en lui demandant une sanction scientifique pour des théories politiques et sociales essentiellement contingentes. Les historiens à venir, plus hardis que nous n’avons le droit de l’être, dégageront et rassembleront les grandes lignes de notre temps ; ils verront vraisemblablement dans l’organisateur des microbes et dans son œuvre la « figure » de tout un siècle, au sens où Bossuet employait ce terme ; comme nous voyons dans ce même Bossuet et dans son œuvre la figure du XVIIe siècle.

L’atténuation des virus est le magnifique couronnement de l’œuvre de Pasteur. Il avait toujours soutenu que « la virulence tient à la vie, » et que les maladies de venin, comme les appelaient nos pères, étaient dues à l’invasion de corpuscules vivans. Il n’était pas le premier qui émettait cette théorie ; mais le premier il sut en donner la preuve expérimentale ; le premier il reconnut avec certitude les bacilles particuliers de quelques-unes de ces maladies ; le premier, enfin, il s’avisa qu’il pouvait atténuer la virulence de ses prisonniers, et inoculer ainsi sous une forme bénigne des affections qui ne récidivent pas. Le principe de la vaccine le guidait ; mais, tandis, que Jenner n’avait tiré de ce