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n’y avait aucun mérite à prévoir et à prédire, c’était le succès final. Sur les quinze mille hommes que nous envoyions à Majunga, trois ou quatre mille devaient certainement arriver à Tananarive, ce qui était assez pour réduire les dernières résistances du gouvernement hova. Notre entrée dans la capitale ne pouvait faire de doute pour personne : toute la question était de savoir ce que nous y trouverions.

L’état des esprits en France a été très intéressant à observer, mais aussi un peu pénible à suivre pendant le cours de la campagne. Nous sommes un pays où le suffrage universel est devenu une terrible réalité, c’est-à-dire où les affaires les plus grandes et les plus complexes sont soumises, au jour le jour, au jugement de chacun, et Dieu sait combien ce jugement est mobile, et de quoi, le plus souvent, il est composé ! Il y entre une part d’ignorance à laquelle il serait assez difficile d’accoler un coefficient exact : en tout cas, il devrait être élevé. Le suffrage universel ne lit pas les livres, les rapports, les documens sérieux. Son éducation se fait au hasard de lectures sommaires. Tout ce qui parle à son imagination entre et pénètre profondément ; le reste demeure à la surface. L’expédition de Madagascar a été, on ne peut pas dire préparée, car ce serait faire trop d’honneur à l’événement que d’y voir le résultat d’un plan méthodiquement préconçu, mais amenée par une longue série de touches et de retouches par lesquelles les députés de la Réunion, les membres des groupes coloniaux, enfin les journaux qui prennent de toutes mains tout ce qu’on leur dit, ont peu à peu formé l’opinion. Le gouvernement a suivi, volens, nolens, bon gré, mal gré, le plus souvent par faiblesse, avec la pensée qu’il y avait dans toutes les solutions du pour et du contre, et que le mieux, en pareil cas, était de s’abandonner au courant et de se fier aux dieux. Les Chambres ont montré plus de facilité encore à se laisser entraîner et, la plupart du temps, elles ont elles-mêmes poussé et entraîné le gouvernement. Il y a quelques jours, les journaux de l’opposition demandaient au gouvernement les comptes les plus sévères au sujet de Madagascar : ils avaient oublié, — car rien n’égale leur puissance d’oubli, — à quel point ils étaient eux-mêmes responsables de tout ce qui s’était passé. Lorsque la Chambre a voté l’expédition, elle a éprouvé tout d’un coup un sentiment d’inquiétude et de doute, qu’elle a dominé assez vite; mais, si on se reporte aux discussions et aux votes antérieurs, on verra que sur cette question de Madagascar, et par une sorte d’enchantement dont il serait difficile et surtout délicat d’analyser aujourd’hui les causes, tous les partis retrouvaient d’accord. On criait sans cesse au ministère : En avant ! en avant ! Quant à l’opinion, on lui avait fait croire que Madagascar était un véritable paradis terrestre, d’une fécondité agricole prodigieuse, d’une richesse minière incomparable, et sur lequel il suffisait d’étendre la main pour s’en