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si là, comme sur les bords du Bosphore, les violences des Arméniens n’ont pas plus d’une fois provoqué celles des Turcs. Celles-ci n’en ont pas moins été odieuses à Sassoun, et à Constantinople même, pendant les premiers jours. La répression a été en partie abandonnée aux softas, ce qui devait lui donner inévitablement le caractère de la vengeance collective, sans mesure, sans pitié, visant non seulement les Arméniens, mais tous les chrétiens. Nous savons bien que des désordres de ce genre se produisent presque fatalement dans toutes les grandes villes où un crime peut être attribué à une partie de la population contre l’autre ; il était naturel qu’à Constantinople le désordre fût plus grand qu’ailleurs et la police moins efficace ; mais on doit éviter à tout prix le retour de semblables événemens. Que faut-il pour cela? Que l’Europe ne donne pas l’impression aux sujets du Sultan que, s’ils se révoltent, et quelle que soit la cause de leur révolte, ils seront soutenus. Il y a peu de pays en Europe, sauf la France grâce à sa merveilleuse unité, où une insurrection n’éclaterait pas dans des conditions semblables. L’Angleterre même ne serait pas épargnée, et l’exemple du passé permet de croire qu’elle ne ramènerait pas l’Irlande à l’obéissance par les moyens les plus doux. Encore une fois, cela n’excuse pas la Porte. Le Sultan doit réaliser enfin les réformes qu’il a promises en 1878, au congrès de Berlin, et dont on n’a pas encore aperçu le moindre vestige. Mais, là encore, il n’est pas sans inconvénient d’adresser à l’empire ottoman, au sujet de sa propre sécurité, des menaces que l’émeute se charge bientôt d’exécuter. Nous comptons sur l’accord de l’Angleterre, de la France et de la Russie pour dénouer sans violence nouvelle une situation dans laquelle on peut voir, d’un côté aussi bien que de l’autre, qu’il est imprudent de jouer avec l’incendie. On assure que les négociations engagées sont en bonne voie et même sur le point d’aboutir : tant mieux ! car en Orient rien ne se passe comme ailleurs, et des incidens moindres que ceux de Sassoun et de Constantinople ont souvent, par une répercussion rapide et profonde, causé à l’Europe entière des embarras qui lui seraient particulièrement pénibles en ce moment.


Ce n’est pas ici le lieu de parler de M. Pasteur : on l’a fait dans une autre partie de cette Revue mieux et plus complètement que nous ne le pourrions nous-même. Mais sa mort est un événement qu’il ne nous est pas permis de passer sous silence. Elle a produit une émotion qui est encore loin d’être calmée. Grâce aux applications pratiques qu’il avait tirées de ses découvertes, M. Pasteur était devenu populaire : la reconnaissance des foules s’unissait pour lui aux témoignages du monde savant. Il a connu de son vivant la véritable gloire : elle s’est présentée à lui sous toutes les formes, les plus hautes et les plus touchantes. Et peut-être cela n’est-il arrivé à personne à un pareil degré. Il faudrait