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funéraire et l’appauvrissement de la tombe. Si la tombe n’était plus la demeure d’un mort qui voulût y être au large, il n’était plus nécessaire de lui donner ces proportions spacieuses que l’on admire dans les tombes à coupole. Si elle était vide, l’âme s’étant envolée vers l’Hadès, pourquoi aurait-on continué à y entasser des trésors ? Des cendres renfermées dans un vase tiennent d’ailleurs bien moins de place que des cadavres, et pour mettre ce vase à l’abri de toute insulte il n’était besoin que d’un trou creusé en terre. Si l’homme n’avait pas partout le désir que sa mémoire lui survive, ce trou eût été toute la tombe ; maison souhaitait qu’une marque visible indiquât aux générations futures le lieu où reposait la dépouille du prince ou chef de guerre. Plus tard, un nom gravé sur la pierre rendra ce service ; mais, en attendant, on avait le tumulus, qui, pointant au-dessus de la surface du sol, appellerait l’attention du passant, le provoquerait à demander quel était le héros auquel avait été élevé le monument. Ce tumulus, c’était ce que l’on appelait le signe σῆμα (sêma). Ce terme finit même par désigner, dans l’usage courant, lorsqu’il s’agissait d’obsèques, le tertre funéraire. On disait dresser le signe, ou plutôt verser σῆμα χέειν (sêma cheein), parce qu’il était fait de terre meuble et de cailloux que l’on répandait sur un soubassement formé de grosses pierres et entouré, à la périphérie, de grands blocs qui devaient empêcher le glissement des matériaux[1].

Ces tumulus, avec leurs pentes arrondies qui se revêtaient de gazon, ne différaient guère les uns des autres que par leur plus ou moins d’ampleur ou de hauteur. Ce qui permettait de les distinguer, c’était la dimension et le nombre de la stèle ou des stèles que l’on plantait sur le sommet du tertre. Quand il décrit les obsèques de Patrocle ou celles d’Hector, le poète ne mentionne pas ces stèles ; mais c’est qu’il n’entre pas dans tous les détails de la cérémonie ; ceux-ci étaient connus de ses auditeurs, auxquels il suffisait de rappeler les circonstances principales pour que leur imagination rétablît celles qui avaient été omises. La plantation de la stèle paraît avoir été de rigueur : c’est ce que l’on peut inférer d’une formule qui est deux fois répétée dans l’Iliade.

Quand Zeus se décide à laisser son fils chéri, Sarpédon, succomber sous les coups de Patrocle, il annonce que la Mort et le doux Sommeil l’emporteront jusqu’en Lycie « où ses frères et ses amis l’honoreront d’un tumulus et d’une stèle, car c’est là l’hommage dû aux morts[2]. »

L’usage de marquer par une stèle la place où un mort a été

  1. Iliade, XXIII, 255-276, XXIV, 797-799.
  2. Iliade, XVI, 456, 674.