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on voit les Spartiates, au temps des guerres modiques., être encore les esclaves superstitieux des devins, et, sur le champ de bataille de Platées, risquer de compromettre le succès de la journée en refusant d’attaquer tant que ne paraissent point favorables les signes tirés des entrailles de la victime, n’est-on pas surpris d’entendre la réponse que fait Hector à Polydamas, qui, en lui annonçant des présages défavorables, prétend arrêter son élan ? « Tu veux que j’obéisse à des oiseaux aux larges ailes ! » s’écrie le héros. « Sache que je ne m’en inquiète ni ne m’en soucie, qu’ils aillent à droite, du côté de l’aurore et du soleil, ou bien à gauche vers le couchant obscur… Le seul augure, le meilleur, c’est de combattre pour sa patrie[1] ! »

La création de l’Hadès, le parti pris d’y envoyer et d’y parquer les morts, témoignent du même effort et du même progrès d’une intelligence qui s’affranchit des préjugés enfantins et qui fait effort pour s’émanciper. Par les développemens qu’elle était susceptible de recevoir, la doctrine à laquelle correspond le rite de la crémation se prêtait mieux que celle qui l’a précédée à satisfaire ce besoin de justice qui obsède le cœur de l’homme. Dans les champs de l’Hadès. On devait aisément trouver place pour les juges des morts, qui, par leurs justes arrêts, contraindraient les coupables à expier dans de longues souffrances leurs triomphes éphémères et assureraient aux bons la félicité, nécessaire compensation des misères subies. Ce fut là ce qui valut à la conception nouvelle l’honneur d’être adoptée par les poètes et ensuite par les philosophes, d’entrer même, par les mystères, dans la religion, dans le dogme, dirions-nous, si ce terme pouvait s’appliquer à des croyances que jamais des théologiens n’ont réunies en corps de doctrine. Cependant, malgré la brillante fortune de ces poèmes qui sont devenus le patrimoine commun de la nation tout entière, la masse n’a pas suivi les exemples donnés par le groupe dont Homère traduit les idées et peint les mœurs. Tout en professant, au sujet de la condition des morts, la croyance dont les premiers linéamens se trouvent chez Homère, la Grèce n’a point adopté le type de sépulture que cette croyance suggérait et que décrit l’épopée. Si ce type est le seul dont celle-ci fasse mention, c’est que, pendant un certain temps, il a été en faveur dans ces cités de l’Eolie el de l’Ionie où la poésie épique a pris sa dernière forme. Mais, là même, il n’a dû avoir qu’une vogue passagère, et, un peu plus tard, on y est revenu au caveau creusé dans le roc et plus ou moins richement meublé. Dans la série des monumens

  1. Hérodote, IX. 40-41. — Iliade, XII, 237-243.