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dans toutes ses formes de manœuvre ; puis des applications ou des arrangemens de ces mêmes exercices accommodés cette fois aux conditions d’un terrain et aux péripéties d’une action. La seconde phase succède logiquement à la première et la complète indispensablement ; jusque-là on n’a préparé que les moyens, non la correspondance de ces moyens avec la fin. Etablir cette correspondance, sera résoudre sur la donnée de certaines hypothèses la question que Napoléon veut qu’on ait toujours présente à l’esprit : « Que ferai-je si l’ennemi apparaît tout à coup sur mon front ? sur mes flancs ? » Or le règlement décrit des formations, il émet des commandemens ; il offre enfin tout un code de signaux par lesquels on peut faire réponse à la question. Une compagnie instruite doit entendre couramment ce langage symbolique. Quant au soldat, les exercices strictement réglementaires lui ont fait sentir pour la première fois le coude-à-coude ; ils l’ont mis dans le rang, — sous pression, pour ainsi dire. Les exercices d’application donneront à son esprit une tournure objective favorable à l’objectivation de son énergie et à la dépense de ses facultés. Savoir où l’on va, pourquoi on y va, quand et dans quel ordre on ira, voilà des aimans qui tirent vers eux les baïonnettes. Posés toujours devant le soldat, ils le magnétiseront à la fin, ils développeront cette volonté personnelle qui seule meut la troupe à partir de l’instant où le général l’a lancée à la grâce de Dieu ; seule porte le soldat à travers les dernières péripéties du drame, et seule assure cette attaque à l’arme froide qui tremble incertaine, tout au sommet des actes du combat.

Le rudiment tactique auquel la troupe vient finalement travailler de concert avec d’autres troupes est une suprême leçon d’énergie et de solidarité. Dans un domaine de tension morale plus haute, succèdent des exercices plus aigus, propres à faire passer dans les moelles l’ivresse et le frisson du danger. Car rien ne sera de trop pour accroître chez l’homme son délire cruel, et pour l’empêcher de juger cette étrange condition mentale dans laquelle il frappe par amour et se sacrifie par haine : il meurt pour détruire, il tue pour protéger.

C’est la cavalerie qui débouche à l’improviste et qui charge : c’est l’artillerie qui canonne par-dessus les lignes amies, et qui, travaillant au loin pour elles, les inquiète et les assourdit de près. L’infanterie tire sur des cibles entre lesquelles des rassemblemens immobiles frémissent au bruit des balles ; elle porte en hâte sur les positions son feu qui marche ; elle projette et elle subit tout ensemble ces attaques traversantes, renouvelées de Souvarow, par lesquelles l’assaut s’achève en mêlée et en corps à corps. Les aptitudes au sacrifice se développent dans les consciences à la