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Le tort de notre gouvernement en cette matière a été de confondre une méthode intérieure d’administration avec un titre de possession. Le procédé qui consiste à maintenir, quand il se trouve suffisamment bien constitué, le gouvernement indigène et les autorités indigènes, est un procédé parfois excellent. Nous ne voudrions aucunement, quant à nous, que l’on supprimât le bey de Tunis, les deux ministres tunisiens, les caïds et les khalifats ; nous n’aspirons pas à ce qu’on donne à la Tunisie des députés et des conseillers généraux ; mais nous pensons que le bey de Tunis ne doit exister que pour nous et pour les indigènes, qu’il doit être, pour l’Angleterre et pour l’Italie, ce qu’est pour nous tout maharajah indien auquel le gouvernement britannique a laissé, sous le contrôle d’un résident, l’administration de ses États héréditaires. Voilà pourquoi nous avons imaginé cette formule : l’annexion à l’égard de l’étranger ; l’administration avec le concours des autorités indigènes comme régime intérieur.

Cette formule est la seule qui concilie les divers termes du problème ; c’est celle qui pratiquement a été observée, en mainte circonstance, par les Anglais dans l’Inde, par les Hollandais à Java et à Sumatra, par les Russes à Khiva où ils ont maintenu un khan, à Bokkhara où ils ont conservé un émir, par tous les peuples colonisateurs en un mot. Le bey de Tunis, la reine de Madagascar doivent être pour nous ce que sont le khan de Khiva, l’émir de Bokkhara pour la Russie, des intermédiaires commodes et souples pour l’administration intérieure, mais rien de plus. Un haut personnage russe que nous voyions ces jours-ci même nous disait que l’empereur de Russie avait fait le khan de Khiva colonel russe, et que celui-ci en avait éprouvé une grande joie.

L’homme qui connaît le mieux Madagascar et les Hovas et qui a du régime à suivre en ce pays la même conception que nous, M. Le Myre de Vilers, a trouvé une autre formule qui exprime la même idée que la nôtre : il faut à Madagascar un protectorat administratif, non un protectorat politique. Avec sa grande expérience des choses coloniales, M. Le Myre de Vilers a raison : le protectorat, dirons-nous en nous résumant sur ce point, est une méthode intérieure d’administration : ce n’est pas un titre de possession ; comme titre de possession, c’est un mot sans précision, au sens vague et incertain et dont les quelques rares précédens au point de vue diplomatique, notamment celui de Tunisie, sont fâcheux et prêtent à chicane.

Qu’on ne s’entête pas à tout confondre, comme l’ont fait les polémiques de presse en opposant à ce qu’on appelle ainsi le protectorat l’administration directe, la suppression des autorités