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dévolues ? C’est l’incertitude qui prévaut, dans les sphères gouvernementales et parlementaires, sur ces importans problèmes. On tâtonne et l’on hésite sans cesse ; on va au hasard, ou plutôt on suit à de courts intervalles des procédés contradictoires. On n’a aucune méthode.

On peut se passer de méthode pour acquérir, mais non pour mettre en valeur, ni même pour conserver.

En ce qui touche la garde de nos colonies, il est un instrument indispensable, c’est la constitution d’une armée coloniale spéciale ; cette armée ne peut être recrutée sans inconvéniens, que par des engagemens volontaires. Elle doit être une armée de mercenaires. Ce mot d’armée de mercenaires choque les oreilles délicates. Voilà vingt ans, quant à nous, que nous l’employons, parce que les idées nettes exigent des mots d’une complète netteté ; faute de les mettre en relief et de les employer, on n’a plus aucune ligne directrice et l’on crée des organisations confuses et instables.

Toutes les grandes puissances coloniales, aussi bien dans le passé que dans le présent, ont recouru ou recourent aux armées de mercenaires ; il suffit d’en citer les deux plus éclatans exemples : Carthage et la Grande-Bretagne.

Cela ne veut, certes, pas dire que tous les hommes qui s’engageront dans ces corps de troupes n’auront d’autre but que l’intérêt pécuniaire ; il s’y présentera, nous l’espérons, surtout pour le corps d’officiers, nombre de jeunes gens enthousiastes, épris d’aventures et de gloire ; mais le fonds même de la troupe sera composé d’hommes qui, tout en étant énergiques, sensibles à l’attrait de l’inconnu et de la vie exotique, ne seront attirés, pour la plupart, dans le rang que par des avantages de paie et surtout de primes d’engagement immédiatement payées. L’armée coloniale doit donc être une armée professionnelle où l’on ne passe pas, mais où l’on reste, d’où l’on ne sort que vers la quarantaine, sinon même un peu plus tard, pour jouir d’une pension ou de certains emplois coloniaux.

C’est une des plus grandes lacunes des sociétés du continent de l’Europe qu’il n’y existe plus de carrière militaire pour les hommes du peuple, sans instruction et sans aptitude spéciale. Dans tous les siècles antérieurs et dans toutes les autres sociétés, aujourd’hui encore chez les Anglais et, dans une moindre mesure, chez les Américains, la profession militaire est ouverte aux gens qui ne se sentent aucun goût pour une autre. On peut y être soldat, simple soldat quasi à vie, comme on est maçon ou tailleur, ou cordonnier. C’est alors un métier comme un autre, d’être soldat. Les