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dans des fosses de soixante centimètres de profondeur, puis avant de les recouvrir de terre on recommandait de jeter sur eux une forte couche de chaux vive afin de combattre l’odeur épouvantable causée par leur rapide décomposition. Là où la chaux vive manquerait, on devait brûler les sauterelles, dans un mélange d’herbes desséchées et de broussailles. La conservation des eaux exigeait aussi de salutaires mesures. Les acridiens arrivant en masses pressées tombent souvent dans les sources, les puits et les citernes qu’ils corrompent ; il fallut donc que sans retard tous les récipiens d’eau potable fussent recouverts de planches, de branches d’arbre, de roseaux ou de toute autre fermeture de nature à empêcher leur chute.

À cette époque déjà lointaine et quand la colonisation en était à ses débuts, les résultats obtenus grâce à ces instructions et aux primes offertes furent satisfaisans ; mais les insectes détruits avaient laissé avant de mourir, enfouie profondément dans la terre, une seconde génération qui, en juin, pullulait déjà et menaçait les cultures, les plantations, et même les grands arbres. Ordre immédiat fut donné aux maires d’aviser les habitans du péril qui les menaçait de nouveau, et de procéder par voie de réquisitions contre ceux qui manifesteraient quelque répugnance à s’associer aux efforts de l’administration. Déjà on avait constaté que matin et soir, pendant que les sauterelles étaient engourdies, on pouvait au moyen de battues générales dans les lieux où elles se retiraient, en détruire des quantités considérables.

Pendant vingt ans, soit de 1846 à 1866, l’Algérie parut à peu près débarrassée de son plus tenace ennemi, car on n’en par la guère durant cette longue période, et il faut en compulser avec beaucoup de soin les archives pour retrouver la trace d’une invasion peu importante en 1849. Le fléau fit sa réapparition en 1864, et son intensité alla croissant pendant les années 1865 et 1866 : les récoltes furent totalement détruites, une disette effroyable en fut la conséquence et, en 1867, 230 000 indigènes moururent de faim.

C’est de Blidah, la ville aux oranges savoureuses, le 19 avril 1866, que partit le premier cri d’alarme. Ce jour-là, le maire avisa ses administrés qu’un passage de sauterelles ailées était signalé dans le voisinage de Mouzaïaville. Il indiqua aussitôt ce qu’il croyait être le meilleur moyen de les combattre :

1° Quand elles sont en l’air, les poursuivre par des bruits stridens, les effrayer par des détonations, par des feux, par de la fumée, pour les empêcher de s’abattre et les forcer à continuer leur route vers la mer ;

2° Les assommer sur place avec des balais de broussailles ;