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avait pu donner libre cours à ses préférences, à base plus modérée si les circonstances l’avaient comporté, ou exigé. On voit par là que M. Léon Bourgeois n’est pas un type absolument nouveau dans notre personnel parlementaire ; mais ce qui est nouveau c’est la situation qui lui est faite et qu’il a dû accepter. Il aurait joué volontiers un air que nous sommes très habitués à entendre, sans qu’il soit facile de dire s’il aurait été supérieur ou inférieur dans l’exécution à la plupart de ses devanciers ; mais cet air est pour le moment démodé. M. Ribot en a tiré les dernières variations. Il y a neuf mois, lorsque la chute de M. Dupuy a été suivie de la démission de M. Casimir-Perier et de l’élection à la présidence de la République de M. Félix Faure, celui-ci, frappé dès ce moment de la difficulté de vivre que les radicaux imposaient à tous les ministères modérés, a fait appeler les radicaux, c’est-à-dire M. Léon Bourgeois. M. Bourgeois a essayé alors de constituer un ministère, mais, croyant bien connaître la Chambre alors qu’il se connaissait surtout lui-même, il n’a pas voulu faire autre chose qu’un cabinet de concentration. L’idée d’un gouvernement purement radical lui répugnait : il ne croyait pas qu’un tel gouvernement fût viable. Il s’est adressé à un certain nombre de modérés, d’abord aux uns, ensuite aux autres, pour leur demander leur concours, mais toutes ses démarches sont restées sans résultat. Peut-être certaines difficultés de personnes ont-elles, sans qu’on l’ait dit, contribué à ce dénouement négatif ; le désaccord apparent s’est produit au sujet de l’impôt général sur le revenu que M. Léon Bourgeois voulait insérer dans son programme, au moins comme une promesse d’avenir, et qu’aucun modéré n’a voulu accepter. Dès lors, M. Bourgeois a renoncé à sa tâche. Ne pouvant pas faire un cabinet de concentration, il a préféré ne pas en faire du tout. Son échec n’a eu, à ce moment, d’autre conséquence que de rendre plus facile à M. Ribot de réussir à sa place, un peu dans les conditions qu’il n’avait pas pu réaliser lui-même, mais pourtant avec des différences notables, puisque, dans le ministère de M. Ribot, la majorité appartenait aux modérés comme elle leur appartient à la Chambre, et que l’impôt général sur le revenu, aussi bien que la plupart des autres conceptions radicales, étaient formellement abandonnés.

Si nous rappelons ces souvenirs d’histoire ancienne, c’est pour montrer que M. Léon Bourgeois n’est pas de sa nature un radical intransigeant et exclusif. Encore maintenant, tout porte à croire qu’il aurait préféré faire un cabinet de concentration ; mais il le pouvait moins que jamais. Après la tentative stérile du mois de janvier dernier, comment conserver à cet égard la moindre illusion ? Si à cette époque, M. Bourgeois a voulu faire un cabinet de concentration ou rien, il devait faire aujourd’hui un cabinet radical ou rien. Peut-être aurait-il mieux aimé cette seconde solution, qui lui aurait permis de