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relative de l’argent. Le parchemin, qui coûtait alors de 1 fr. 20 à 2 francs la feuille, qui valait même 2 fr. 40 pour les qualités supérieures provenant de veaux ou de chevreaux, — parchemins « vélins » ou « chevrotins », — semblait condamné à disparaître, puisqu’il était quatre fois au moins, et, dans certains cas, dix fois plus cher que le nouveau papier. Il n’en fut rien, les deux marchandises vécurent côte à côte ; quoique le papier ait singulièrement diminué de prix aux époques suivantes, jusqu’à ne plus valoir, dès le XVe siècle, que 30 francs au maximum, et le plus souvent 8 et 9 francs les cent feuilles, la valeur du parchemin ne baissa pas, sans doute parce que sa fabrication s’était restreinte d’elle-même, en proportion du petit nombre d’emplois où il demeurait sans rival.

Pour les manuscrits de luxe, pour les copies enluminées et historiées, les frais de main-d’œuvre dépassaient de beaucoup ceux de la matière ; l’achat du parchemin était peu important. Un Évangile établi en 1419, à Paris, pour l’hôpital Saint-Jacques, revient à 1 600 francs de nos jours, dont 100 francs seulement pour le parchemin, 220 francs pour la copie, 56 francs pour la couverture en drap et 1 224 francs pour la dorure. La reine d’Espagne se commande en 1 532 un psautier de 440 francs ; le parchemin n’entre dans le total que pour 80 francs, tandis que la peinture seule des lettres majuscules y figure pour 160 francs, et les autres peintures pour 120 francs. Pour les livres courans au contraire, registres de compte, ouvrages d’éducation, pour la correspondance, le papier devint presque seul en usage. Il servait aussi pour les fenêtres : un morceau de grand format, remplissant l’office de vitre, revenait au double des carreaux actuels en verre de même dimension. Lorsque les progrès de l’industrie eurent vulgarisé et embourgeoisé le verre, longtemps réservé aux vitraux des églises et des façades de palais, le papier, évincé peu à peu de ce terrain, voyait son propre domaine démesurément accru par l’invention de l’imprimerie. Un volume de 400 pages in-quarto représentait, au temps de Gutenberg, un débours de 150 francs en parchemin et de 10 francs seulement en papier.

Le papier, qui fournissait à la même époque la matière des cartes à jouer, de création récente, sert déjà aux emballages. A mesure que l’instruction élémentaire se répand, sa consommation se développe : l’affiche remplace le crieur aux carrefours ; les courriers et messagers partant à date fixe invitent à écrire et à recevoir des lettres. Le papier demeurait précieux pourtant, et noble : Rabelais, dans le chapitre connu où gravement il recherche qui remplira le mieux, au « privé », certaine fonction des « serviettes indispensables », ne s’avise pas qu’il suffirait, sans se