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que du bois moulu, réduit en poudre. Les bûches de 30 centimètres de long, solidement fixées dans des boîtes de fonte, adhèrent par un bout à une meule de grès très dur, qui tourne avec une extrême rapidité. A mesure que la bûche s’effritte, s’émiette et se consomme, un ressort la pousse et la tient clouée à la meule, tandis que la poussière ligneuse est entraînée par un écoulement d’eau incessant. Peu à peu les bûches, rongées, disparaissent ; le bois râpé et humide s’épure dans un tamis d’où il est amené entre d’autres meules horizontales, chargées de le raffiner comme une véritable farine. C’est un travail très simple, exigeant peu de place et de main-d’œuvre, mais beaucoup de force.

Cette pâte mécanique ne peut toutefois être employée seule ; elle ne donnerait qu’un papier sans consistance et sans « soutien ». Alliée au contraire à la pâte chimique, dont la théorie venait d’être créée par la science, elle s’est imposée partout. Le bois se compose de cellules allongées, souples et fibreuses, et de matières variées, dites incrustantes. Les premières résistent à l’action des acides ; les secondes se transforment, au contact de ces réactifs, en produits solubles. Les applications industrielles de cette idée ont donc pour objet de désorganiser le bois, tout en conservant intact le tissu primitif ou cellulose. Ainsi, arrachés à leurs solitudes brumeuses ‘et glacées, les épicéas Scandinaves qui vont bientôt se couvrir de nos polémiques parlementaires, sur lesquels nos enfans épelleront l’alphabet et que l’on feuillettera le soir en volumes, au coin du feu, uniront la souplesse obligatoire de leur forme nouvelle à la dureté de leur essence originaire. Le prodige s’accomplira sans effort, moyennant un bain de bisulfite de chaux ou de magnésie, administré à des températures variables.

En France, c’est à la papeterie d’Essonnes que la première tonne de « pâte au bisulfite » a été fabriquée. Les propriétaires, MM. Darblay, avaient appris d’un Suisse le procédé suivi en Allemagne : il y était soigneusement tenu secret, l’invention paraissant sauvegardée en outre par un prétendu brevet, annulé depuis à la suite d’un procès célèbre, dont le poursuivant n’était autre que le prince de Bismarck. Presque toutes les espèces de bois peuvent servir à la fabrication du papier, mais leur rendement est très différent : 100 kilos de noyer ou de chêne ne fourniront que 26 ou 29 kilos de pâte ; on en tirera 38 d’un quintal de saule ou de marronnier. Les qualités ou les défauts de ces pâtes sont aussi très divers : le tremble, par exemple, a le mérite de fournir un papier très blanc, ayant « de la main » ou du « bouffant », mais peu solide. Il se mélange à la dose de 5 pour 100 contre 95 pour 100 de sapin. Ce dernier bois, le plus employé, a d’abord