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tolo ; il s’agissait simplement de dépouiller le cadavre. Le Pérugin, que sa détresse avait rendu stupide, les suivit. En chemin, l’idée vint aux voleurs qu’il ne serait point hors de propos de nettoyer leur compagnon. Un puits, muni de sa poulie et d’une corde sans seau, se présente ; ils attachent Andreuccio et le descendent. Mais voilà que des sbires, pressés par la soif, se dirigent, eux aussi, vers le puits : les voleurs décampent et se glissent dans l’ombre à pas de loup : les sbires tirent la corde et ramènent le Pérugin en chemise, rafraîchi et purifié ; leur premier mouvement, à la vue de ce fantôme qui monte à eux, est de s’enfuir, en abandonnant leurs armes et leurs manteaux. Andreuccio se raccroche à la margelle : il rejoint ses amis qui retournaient au puits afin de l’en tirer. Tout en riant de la lâcheté des sbires, on se hâte vers Saint-Janvier. Ils entrent dans la cathédrale comme en un moulin, assai leggiermente, et vont droit au sarcophage épiscopal. Ils en soulèvent le couvercle et l’étançonnent, afin de livrer passage à un corps de voleur. Mais qui descendra, vivant, au sépulcre ? « Ce n’est pas moi, dit chacun des trois associés. — Tu entreras, disent les deux bandits, ou nous t’assommerons. » Andreuccio, tout tremblant, se coule dans le tombeau. « Ces gens-là, pense-t-il, emporteront tout le trésor et se moqueront de moi : faisons-nous d’abord notre part. » Il se passe au doigt l’anneau pastoral et livre à ses complices tour à tour la croix d’or, la mitre, les gants brodés d’or, la chape, l’étole, jusqu’à la chemise du prélat. « Et l’anneau ? » interrogent les deux autres. « Je ne trouve point d’anneau. » Nos voleurs font brusquement retomber le couvercle et s’en vont : Andreuccio essaie en vain de soulever, de la tête et des épaules, la pierre du sépulcre. Le voilà bien enfermé, jusqu’au jour du Jugement. Il mourra d’une mort horrible, sur le cadavre de l’archevêque. Et si, par hasard, on le délivre, il sera pendu en qualité de voleur et de sacrilège.

Une rumeur court sous les voûtes de Saint-Janvier. Il y a des gens qui vont et viennent dans les ténèbres et parlent bas. Ils se rapprochent du tombeau. Le Pérugin se meurt d’épouvante. On a soulevé et maintenu le couvercle, mais personne n’a le cœur de descendre sur le corps de Sa Grandeur. Après un long débat, un prêtre dit : « Vous avez peur ? Craignez-vous donc qu’il ne vous mange ? Les morts ne mangent pas les vivans. Moi, j’entrerai. » Le prêtre passe les jambes dans le sarcophage : Andreuccio se redresse et le tire vivement à lui. Le clerc impie pousse un hurlement de terreur et se jette hors de la tombe et toute la troupe s’enfuit « comme s’ils avaient cent mille diables