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même espèce, l’Avare de Molière et composait une suite au Lutrin. Dès qu’il apprit l’arrivée à Florence, en qualité de secrétaire de la légation, du jeune poète des Méditations, il le rechercha avec empressement. Lamartine, serviteur des Bourbons, ne se rendait pas dans le palais d’un Bonaparte. Le Bonaparte venait dans le sien, la nuit, suivi d’un valet de chambre qui aidait ses pas infirmes à monter les escaliers. Ils passaient de longues soirées en tête à tête, dans les entretiens purement littéraires ou philosophiques.

À Rome comme à Arenenberg, Hortense, malgré ses occupations artistiques ou ses distractions mondaines, veillait sur l’éducation de son fils avec autant d’intelligence que de tendre sollicitude. Intrépide, elle le rendit tel ; fière, elle lui fit un cœur au-dessus des petitesses ; admiratrice de Napoléon, elle lui en inspira le culte ; convaincue de l’avenir de sa race, elle lui en communiqua la foi. Elle fut malgré tout la faveur providentielle de sa destinée, comme Joséphine l’avait été de celle de son oncle. Par un petit fait, on jugera de la manière dont elle agissait sur lui. Comme tous les enfans imaginatifs, il était accessible aux terreurs de l’obscurité. Pour l’aguerrir, Hortense fit enlever de sa chambre tous les portraits de son oncle. « Ils ne peuvent rester, dit-elle, dans la chambre d’un poltron. » De ce jour, l’enfant n’eut plus peur. Elle lui confia la lettre écrite par l’Empereur à sa naissance, et le jeune prince prit l’habitude de la porter toujours sur lui. Elle mis à son doigt la bague de mariage de Joséphine.

Il avait, âgé de treize ans, appris à Augsbourg la mort du captif de Saint-Hélène. Sa lettre touchante à sa mère, absente en ce moment, témoigne à quel point le souvenir de son oncle présidait déjà à toutes ses pensées. « Ce qui me fait beaucoup de peine, c’est de na pas l’avoir vu, même une seule fois, avant sa mort, car à Paris j’étais si jeune qu’il n’y a presque que mon cœur qui m’en fasse souvenir. Quand je fais mal, je pense à ce grand homme, il me semble sentir en moi son ombre qui me dit de me rendre digne du nom de Napoléon. »

En développant en son fils la noble ambition de n’être pas indigne de son nom, Hortense n’alimenta pas les convoitises et les regrets du pouvoir perdu. Malgré ses idées aristocratiques, elle lui donna plutôt des mœurs et des sentimens d’une simplicité philosophique. Elle répétait à tout propos qu’il faut être homme avant d’être prince, qu’il y a aussi une grandeur dans l’infortune dignement supportée. Bien éloignée de prêcher une aveugle superstition dynamique, elle l’avait pénétré de cette idée que les places les plus élevées n’assurent pas le bonheur, que la seule