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de créer libre et indépendante leur nation et de ne garder la couronne que le temps nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts[1] ; » il manifestait les mêmes sentimens à la Pologne, cette sœur de la France ; le duché de Varsovie devait servir de noyau à une nationalité complète. Napoléon n’a donc pas été victime de la fausseté de son système, mais de la précipitation avec laquelle il l’a appliqué : il a voulu en dix ans d’empire réaliser l’ouvrage de plusieurs siècles.

À l’exposé des Idées napoléoniennes, l’écrivain mêle ses vues personnelles. « J’aime la liberté, dit-il. Il faut guérir les maux, jamais les venger. » Il déclare « que la guerre est le fléau de l’humanité, que le temps des conquêtes est passé pour ne plus revenir. » Il considère « le divorce comme une garantie de la moralité des familles. » Il présente le premier en France le système militaire prussien, « qui fait de la nation entière la réserve de l’armée. » Il ne tranche pas doctrinalement le conflit entre la république et la monarchie : il y voit une de ces questions de l’ordre relatif insolubles a priori. Il ne penche vers le système héréditaire que parce qu’il y trouve la garantie de l’intégrité d’un pays : « Les deux monarchies de France et d’Allemagne naquirent en même temps du partage de l’empire de Charlemagne ; la couronne devint purement élective en Allemagne ; elle resta héréditaire en France. Huit cents ans plus tard, l’Allemagne est divisée en douze cents États environ, sa nationalité a disparu ; tandis qu’en France le principe héréditaire a détruit tous les petits souverains et formé une nation grande et compacte. »

La conception que le neveu se forme de son oncle n’est pas celle du chauvinisme troupier ou du despotisme bureaucratique, c’est celle des penseurs de la démocratie. Il le définit comme Pierre Leroux, comme Quinet, « l’exécuteur testamentaire de la Révolution, le messie des idées nouvelles. » - « L’idée napoléonienne est sortie de la Révolution française, comme Minerve de la tête de Jupiter, le casque en tête et toute couverte de fer. Elle a combattu pour exister, elle a triomphé pour persuader, elle a succombé pour renaître de ses cendres, imitant en cela un exemple, divin ! »

Ces Idées napoléoniennes amenèrent la réconciliation avec Joseph revenu d’Amérique. L’oncle confessa que ses soupçons étaient mal fondés et déclara, en qualité d’ami et de dépositaire des pensées intimes de l’Empereur, que le livre de son neveu en était le résumé exact. Il reconnut même qu’il n’était pas juste qu’un

  1. Botta, liv. XXVII.