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l’intellectualité de l’univers ? De l’admiration, de la reconnaissance, de la fraternité ? Allons donc ! D’ailleurs qu’est-ce que la province pour Paris, et quelle idée s’en fait-il ? La province c’est, autour de Paris, une sorte d’immense terrain vague, vaseux par-ci, pierreux par-là, à la surface de quoi, au premier coup d’œil, on ne distingue rien. Cela semble inhabité. Un vent de mort a soufflé sur cette pauvre chose, à moins que, plausible hypothèse, la Vie, lasse d’avoir créé tant de merveilles à Paris, et de si admirables gens, se voie arrêtée dans son œuvre et n’ait pas voulu franchir ce morne espace, car la Vie est bien trop parisienne pour cela !… Et c’est cela, qui est sans nom et sans droits, étant sans vie, sur quoi il faudrait détourner une petite partie des largesses dont on inonde Paris ! C’est à cause de cela qu’il faudrait renoncer à des fêtes, stupides et barbares, qui ruinent davantage cette ruine éternelle, qui enrichissent Paris d’une richesse passagère et factice, dont il ne gardera que l’étonnement qu’elle soit en allée si vite, et le dégoût violent qu’elle ait laissé sur lui l’empreinte de tant de choses sales, l’odeur de tant de prostitutions.

La province se révolte enfin contre cette omnipotence de Paris, contre cet omni-accaparement dont elle souffre depuis longtemps, et qui la tuera demain. Il y a dans cette révolte quelque chose de grave et que l’on ne veut pas voir et qui dépasse, pourtant le sens d’une protestation momentanée. Ce réveil, que l’Exposition de 1900 a produit dans la province laborieuse, n’est que l’effet d’une cause profonde et ancienne. Elle comprend, elle sait que, si ce projet se réalise, c’en est fini de son commerce, déjà languissant et qu’elle ne maintient qu’à force de luttes incessantes, de sacrifices et de pauvres joies. Elle voit de jour en jour, d’année en année, Paris détourner et canaliser, à son profit, ce qui reste en elle d’énergie. Non seulement il lui enlève ses richesses matérielles, mais il lui prend aussi ses hommes, — bras et cerveau. L’exode suit une marche lente et régulière dans les temps ordinaires ; dans les années d’exposition, il s’accroît et se précipite. Ce n’est plus un individu isolé qui, de-ci de-là, abandonne le champ ou déserte l’atelier, c’est une foule, ce sont des foules, attirées par la promesse de gros salaires, par la promesse de l’existence facile et brillante, par tout ce rêve menteur de Paris, qui obsède et détraque le cerveau des malheureux, ce sont des foules, des troupeaux humains qui partent et ne reviennent plus. Ce qu’ils deviennent ? Hélas ! leur histoire est banale et tient tout entière dans ces deux mots : misère et révolte. « Pour un qui devient ministre, parmi ces pauvres diables, combien échouent dans ces attaques nocturnes ? » écrivait récemment un humoriste. Pourquoi, sans d’autres raisons que les chiffres