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formalisme étroit dont notre procédure est tout imprégnée offre à nos yeux un grave danger. La plupart de ces minuties, de ces scrupuleuses solennités, semblent instituées en vue de protéger l’accusé ; à des yeux peu exercés elles constituent des garanties de la défense, et ce savant faisceau des « garanties apparentes » sert à masquer l’absence des garanties réelles et effectives. Aux symétries qui trompent l’œil, aux recherches de « sexte-essence », comme disait Rabelais, il faudra que les lois nouvelles substituent la procédure la plus simple, la moins embarrassée de délais et de formes irritantes, mieux assise en revanche sur quelques clairs principes d’équité.

Nos jurés, cependant, se lèvent pour prêter serment, et cette formalité-là n’est pas superflue ; elle est dans l’essence même de la loi, et on a pu dire que « c’est l’acte du serment qui constitue le juré en lui donnant son nom. » Cette cérémonie se passe, en général, rapidement et sans encombre ; cependant un incident surgit parfois et cause de grandes complications. Un juré, au lieu de prononcer la formule consacrée, reste obstinément muet. Interrogé, il expose qu’ « il ne peut accepter la formule du serment parce qu’il ne croit pas en Dieu. » On pourrait faire un gros volume de tout ce qui a été dit ou écrit sur cet incident classique. Les journaux s’en emparent pour railler ou approuver le héros ; en attendant, on le condamne, et sa profession de foi lui coûte cinq cents francs d’amende.

Il est curieux de constater qu’en Angleterre, pays de religion d’Etat, officielle et puissante, le juré peut se refuser à prêter serment, soit parce qu’il est « quaker », « moravian » ou « séparatiste », soit parce qu’il « n’a pas de croyance religieuse ». On l’admet alors à, faire une simple promesse dans les termes suivans : « Je déclare et affirme solennellement, sincèrement et en vérité, que je jugerai bien et fidèlement et prononcerai sincèrement entre notre souveraine la Reine et le prisonnier à la barre dont je suis spécialement chargé, et rendrai un juste verdict conformément aux preuves. » Et il omet les mots : « So help me God, Dieu me vienne en aide. » Mieux vaut cette loyale promesse que le scandale d’un serment marchandé, refusé ou prêté « pour la forme ! » Pourquoi cette mesure libérale, aussi conforme au principe de la liberté de conscience qu’au respect bien entendu de l’idée religieuse, n’est-elle pas encore adoptée chez nous ? Toujours par excès de formalisme, par un besoin tout extérieur et superficiel d’alignement moral.

Pourtant le serment est prêté, et dans sa formule un peu emphatique, le juré a fait sans y prendre garde une promesse bien téméraire : il s’est engagé par serment « à être attentif ». Dans