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caractéristique a l’inconséquence, je ne dirai pas cynique, car Nicomede Bianchi, que j’ai connu, était un homme droit et excellent, de reprocher lui aussi à Cavaignac et à ses ministres « d’avoir été sans prévoyance et sans générosité pour n’avoir pas compris que le Piémont agrandi de la Lombardie et de la Vénétie serait l’allié naturel de la France[1]. »

Cette politique de Cavaignac qu’était-elle d’ailleurs, sinon le souvenir d’un des conseils d’un grand Italien, du plus profond anatomiste de la politique qui ait jamais existé, Machiavel : « Louis XII, dit-il, dans son expédition en Italie commit l’erreur d’écraser les petits princes et d’augmenter la force d’un prince puissant (c’était alors le pape). » Il en concluait que les Français ne s’entendent guère aux choses d’Etat « car il est de règle à peu près générale que qui contribue à rendre quelqu’un puissant prépare sa propre ruine (chi è cagione che uno diventi potente rovina). »

La situation de la France est vraiment singulière. Se meut-elle en faveur des peuples, comme en 1848 et comme plus tard en 1859, la défiance surgit, même chez ceux qui l’ont appelée et qu’elle secourt. Refuse-t-elle de se mouvoir, comme sous Louis-Philippe et sous le général Cavaignac, elle est infidèle à sa mission, elle trompe l’attente du monde ; et pour peu qu’un de ses chefs ait accordé quelque parole de sympathie à ceux qu’il lui est impossible d’assister, on l’accuse de manquer à ses engagemens.

Le Piémont n’a pas le droit de nous reprocher de l’avoir délaissé en 1848. « Personne de nous n’ignore, disait à la tribune le ministre des affaires étrangères Perrone, les services que la France nous a rendus. Elle nous a donné tous les moyens de fournir l’armée et d’équiper nos troupes ; sans la France, nous aurions été embarrassés d’avoir des fusils. Qui est-ce qui a empêché Radetsky de passer le Tessin ? La vue de l’armée française sur les Alpes. Et si la France n’a pas jusqu’à présent envoyé dans le Piémont son armée, elle l’a fait dans la crainte d’exciter une guerre générale, guerre inévitable dans le cas qu’elle intervienne (28 octobre 1848). »

Au surplus, Cavaignac et ses ministres ne s’étaient pas renfermés dans une indifférence égoïste, et à défaut de l’assistance par les armes, ils accordèrent au malheureux Piémont celle de la diplomatie. Se servant avec habileté de la terreur qu’inspirait à Palmerston l’éventualité de notre descente en Italie, ils l’amenèrent à une médiation ayant pour base l’indépendance de la

  1. Nicomedo Bianchi.