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Les distances qui séparaient autrefois les nations européennes, non pas dans la petite Europe où elles sont en quelque sorte les unes sur les autres, mais dans l’immensité du globe, ont singulièrement diminué pour deux motifs : le premier est que les moyens de communication sont devenus beaucoup plus rapides ; le second est que, à côté des vieilles puissances, comme la France et l’Angleterre elle-même, qui n’ont pas interrompu un seul jour leur expansion coloniale, d’autres, plus jeunes, sont venues, l’Italie et surtout l’Allemagne, qui ont voulu marcher sur les traces de leurs devancières et coloniser à leur tour. L’Allemagne a aujourd’hui des intérêts territoriaux en Afrique et des intérêts commerciaux partout. Les colonies britanniques ne sont plus aussi éloignées des colonies étrangères, devenues plus nombreuses. Les marchés de l’univers n’appartiennent plus aussi exclusivement à l’Angleterre. Déjà l’Allemagne, à laquelle le bas prix de sa main-d’œuvre permet de produire à très bon marché, lui fait une concurrence active et, sur plus d’un point, redoutable. Qu’on ne s’y trompe pas, une explosion de haine comme celle qui vient d’avoir lieu entre elles n’est pas le simple effet d’un incident, quelque grave qu’il soit. Un instinct sûr travaillait depuis longtemps les deux nations et devait les mettre en opposition l’une avec l’autre. Elles sont destinées à se rencontrer un jour, elles se rencontrent déjà dans plusieurs parties du monde, et ces rencontres ne leur sont pas agréables. Des intérêts froissés, des espérances trompées, des œuvres contrariées et interrompues sont déjà entre elles comme des fermens de discorde. Croit-on, par exemple, que l’empereur Guillaume, lorsqu’il a écrit son télégramme désormais célèbre, ait cédé simplement à une admiration généreuse pour le courage et pour la bonne fortune des Boërs ? Ce sentiment a existé sans doute, mais non pas seul. Il suffit d’avoir étudié les entreprises allemandes en Afrique pour reconnaître qu’elles ont obéi, dès l’origine, à une pensée politique qui n’a jamais été abandonnée. La sympathie de l’Allemagne pour le Transvaal ne date pas d’hier. Lorsque M. de Bismarck, avec la sûreté de calcul qu’il a apportée dans l’exécution de la plupart de ses projets, a jeté à Angra-Pequena le fondement de la future puissance coloniale de son pays, il avait déjà l’idée, en s’appuyant sur le Transvaal et sur le Portugal, et en les soutenant, de mettre une digue à l’invasion des Anglais vers le centre et le nord de l’Afrique. Il a noué tout de suite des relations avec le Transvaal. M. Krüger est allé à Berlin, où il a été l’objet de soins particuliers, et, dans ses discours officiels, il rappelait au vieil empereur Guillaume, avec une exagération voulue, que « la plus grande partie de la population du Transvaal et de l’Afrique du Sud était d’origine allemande. » C’est alors que les Anglais, gens pratiques, sentant le danger dont ils étaient menacés, se sont emparés du Betchouanaland de manière à interrompre, de l’Ouest à l’Est, les communications des Alle-