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sa coupable tentative, et ce lui est au fond un grand soulagement ; mais le maître charpentier Dake, a enlevé la bombe au péril de sa vie, est grièvement blessé. Un brave homme, ce Dake, et dont l’histoire est assez commune en Amérique : celle du jeune artisan venu d’Angleterre chercher fortune dans le Nouveau Monde et s’amourachant au débarqué d’une jolie Yankee ambitieuse et vulgaire qui s’est frottée tout juste assez d’instruction superficielle et malfaisante à l’école dite supérieure pour mépriser un mari dont elle est incapable de comprendre les aspirations morales. Le divorce s’ensuit. Victime de sa femme, Dake l’est ensuite des trade-unions. La société secrète dont il s’est retiré, après en avoir fait partie, ne lui pardonne pas sa défection ; elle le poursuit de tant de vengeances diverses qu’on peut très vraisemblablement lui imputer l’attentat de la fin ; et l’avis de l’auteur, par la bouche de tous les personnages sensés du récit, est que l’association des « Chevaliers du Travail », comme beaucoup d’autres de même sorte, a fait assez de mal pour qu’on laisse sans scrupule un crime de plus à son compte. Réactionnaire à sa façon, Octave Thanet est le détracteur résolu des grévistes, des grèves et de ces organisations du travail qui lui paraissent la pire des tyrannies. Pourquoi un bon ouvrier chômerait-il parce qu’une douzaine de mauvaises têtes se montent à tort et à travers ? Elle met volontiers en scène le patron honnête et juste qui favorise l’effort individuel et fait participer tout son monde aux bénéfices, mais « l’élévation des classes laborieuses » s’arrêtera là, si on l’écoute. L’enfant qu’elle nous montre, presque innocemment criminel, perverti par des gens qui s’en tiendront volontiers aux discours, tandis que lui, dans sa logique juvénile, va droit à l’action, n’est pas incorrigible ; il sera au contraire initié par le mal même qu’il a commis au bien qu’on ne lui avait pas enseigné : la terreur, le remords, le besoin d’avouer entrent en lui, éveillent sa conscience et le sauvent. Ceux-là mêmes qu’il a offensés prennent pitié de sa détresse et le préservent des poursuites de la justice. L’angoisse de cette pauvre petite âme écrasée sous le poids d’une responsabilité, que seul un scélérat arrivé à l’âge d’homme serait de force à porter, est poignante. Otto le Chevalier doit passer pour une œuvre utile, tout autre mérite à part. Elle aura peut-être arrêté plus d’un ouvrier en dérive, car son auteur est populaire, quoiqu’il ne flatte aucune passion d’en bas et conserve jusque dans le dialecte une mesure, un respect de sa plume, qui semblent le recommander aux délicats.

L’absence complète de préjugés et de parti pris lui fait des amis partout. Il est vrai qu’Octave Thanet blâme, dans Otto the