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changement de régime, effectué en présence de l’ennemi occupant notre territoire, n’aurait pas pour effet de rendre ses prétentions plus dures, le jour où nous traiterions de la paix, et la défense plus difficile, si nous continuions la guerre dans des conditions de plus en plus désastreuses. Cette manière de voir était celle de nos amis, devenus nécessairement plus rares après nos défaites. Quant au parti allemand, dont l’influence grandissait à Saint-Pétersbourg par la force des choses, son jeu était tout indiqué et assez habile. Pour nous aliéner les sympathies de la Russie, il rappelait volontiers les souvenirs de la guerre de Crimée, dont le passé était déjà lointain ; ceux de notre intervention diplomatique en faveur de la Pologne, qu’on ne nous avait pas pardonnée ; et divers incidens regrettables tels que l’attentat de Berezowski. Il excitait ainsi les esprits contre la dynastie déchue, en même temps qu’il déclarait que cette dynastie, reconnue par l’Europe, étant tombée, il n’existait plus en France de gouvernement régulier avec lequel il fût possible de traiter. On pouvait ainsi, par ce double jeu, nous mettre plus aisément hors la loi et préparer graduellement les esprits aux dures conditions de paix qui nous seraient imposées, conditions dont la teneur générale, sinon les détails précis, était déjà, comme on le sait, arrêtée dès cette époque dans la pensée de nos vainqueurs.

Telle était la situation, en ce qui concernait particulièrement la Russie au moment où le gouvernement du 4 septembre s’installa à l’Hôtel de Ville. M. Jules Favre, en prenant possession du portefeuille des affaires étrangères, ne fit, comme on le sait, aucun changement dans les bureaux de son ministère, dont il conserva le directeur politique et tous les autres chefs de service. Il demanda également au comte de Chaudordy, chef du cabinet du prince de la Tour d’Auvergne, de lui continuer les conseils de son expérience diplomatique. Cette décision du ministre s’appliqua aussi à tous ceux des membres de la carrière diplomatique qui ayant pas — comme les ambassadeurs ou quelques ministres plénipotentiaires en évidence — représenté la personne même du souverain, ou été associés à sa pensée intime, pouvaient, sans amoindrissement personnel, continuer à servir leur pays dans un moment où le territoire était envahi. S’il eût agi différemment, le gouvernement nouveau, qui s’imposait à la France, n’aurait jamais pu faire agréer ses nouveaux envoyés par les cours étrangères, alors que le sort des armes nous était manifestement contraire, et que l’origine même de ce gouvernement pouvait être légitimement contestée. Il était assuré, d’ailleurs, que le patriotisme des anciens agens, auxquels il venait de faire appel, leur