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récente de Périclès. Il y avait souvent des allusions dans la pièce d’Euripide. Des critiques, surtout Hartung, se sont évertués à en découvrir là où il n’en existait pas ; mais on voit qu’il y en a d’importantes qu’on peut reconnaître avec certitude.

Il est assez intéressant de rapprocher des passages où s’exprime la passion patriotique d’Euripide à l’égard des ennemis étrangers, des vers où se découvre le fond de sa pensée au sujet de la guerre en général. Il ne l’aime pas. S’il loue à l’occasion la bravoure du soldat, il déplore les maux de la guerre ; il voudrait que les cités cherchassent à s’entendre avant de se combattre et que leurs querelles pussent se vider par la parole, et non par le sang. Dans ce curieux esprit il y a déjà comme un germe d’idée humanitaire. Aussi ses héros ne sont guère héroïques. Capanée ; dans la petite oraison funèbre que prononce Adraste, est un riche simple et un galant homme fidèle à ses amis, affable pour tous, même pour ses esclaves. On ne comprend pas que Jupiter l’ait foudroyé.

Quant à la politique intérieure, les idées d’Euripide sont celles d’un Athénien modéré de son temps. Ni tyrannie, ni démagogie, ni oligarchie, mais, s’il était possible, un régime pondéré qui unirait toutes les classes sous une direction équitable : tel est l’idéal assez simple qu’il semble proposer. De la tyrannie il ne pouvait être question que pour la flétrir. C’était le langage naturel d’un citoyen de la glorieuse république athénienne. Les bons rois des Héraclides et des Suppliantes, Démophon et Thésée, doivent être mis à part. Ils sont couverts par la légende ; peu s’en faut que le second ne soit le fondateur de la démocratie. Mais la tyrannie. telle qu’elle existait réellement sur certains points du monde grec, ou telle que se la représentait l’imagination populaire, est vigoureusement attaquée par Euripide. C’est, dit-il dans les Phéniciennes, « une injustice heureuse ». Elle marche à son but, qui est la destruction de la loi, à travers les bassesses, les trahisons, les crimes sanglans, appuyée sur les plus vils de ses sujets, terrorisant, déshonorant et dépeuplant la cité par ses violences, ses caprices et ses guerres. Arrive-t-il au poète de mettre sur la scène un tyran, comme Lycos dans Hercule furieux, il en fait un type de férocité brutale. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer, dans un chœur curieux d’Andromaque, — où la collaboration littéraire est comprise dans une sentence générale contre tout ce qu’entreprend une volonté double ou multiple, — qu’aux momens de crise le pouvoir d’un seul homme, fût-il médiocre, vaut mieux que la direction d’une réunion d’habiles gens.

Les deux biens politiques dont les Athéniens se montraient le plus fiers étaient l’isonomia (l’égalité des droits) et la parrhésia