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fois qu’un député du centre annonce l’intention, ou la velléité de faire quelque chose, ses amis effarés l’entourent pour l’en dissuader. Un jour c’est M. Léon Say qui veut interpeller le gouvernement sur sa politique financière. Quelle faute ! lui crie-t-on de tous côtés. Quelle imprudences Vous allez refaire la majorité du gouvernement ! Mais M. Léon Say ne se laisse pas troubler et maintient son interpellation. Une autre fois, c’est M. Barthou qui parle d’interroger le garde des sceaux sur la situation irrégulière d’un juge d’instruction. Quelle faute ! Quelle imprudences lui répète-t-on avec ensemble ; et il cède. Les groupes sont devenus des espèces de marécages où on embourbe. sous prétexte de les y essayer, les questions ou interpellations qu’un orateur plus hardi que les autres, mais pourtant prét à tous les renoncement, pourrait adresser au ministère. Celui-ci tombera quand même un jour prochain ; on le dit et nous le croyons. Il glissera sur on ne sait quoi ; une tuile lui tombera sur la tète, venant on ne sait d’où ; un bolide éclatera dans le ciel, comme à Madrid. Soit ! et le plus tôt sera le mieux. Mais dans toutes ces combinaisons qui sentent l’intrigue, on oublie le pays. Le gouvernement parlementaire est le pire de tous s’il ne sert pas à éclairer, à former, à grouper, à diriger l’opinion, car c’est sur l’opinion qu’il repose, et il ne repose sur rien lorsque l’opinion, faute de lumière ou d’impulsion première, n’arrive pas à la conscience de soi. On s’est beaucoup moqué des saints indous qui s’absorbent et s’abêtissent dans la contemplation d’eux-mêmes, ou d’une partie d’eux-mêmes. Les assemblées parlementaires, qui se croient tout et sont peu de chose, sont très sujettes à ce genre de maladie mentale. Elles rétrécissent leur horizon aux limites d’une salle de conférence. On n’imaginerait pas quelle importance des riens, dont le public ne se doute pas et n’entendra jamais parler, prennent dans ce milieu spécial à l’atmosphère étouffée. C’est la que naissent et que meurent les ministères, très discrètement, sans que personne sache exactement pourquoi ils sont nés et de quoi ils sont morts. Sur trente-six millions de Français, y en a-t-il cinq cents qui pourraient dire tout de suite, sans une étude rétrospective, quelle a été la cause occasionnelle de la chute du dernier cabinet, chute qui date de trois mois ? Le pays ne voit que des ombres. On joue avec lui à cache-cache ; on lui interdit d’assister aux conciliabules de couloirs ; on ne lui débite que des phrases d’apparat à la tribune. Comment ne se lasserait-il pas d’un pareil gouvernement, puisque ceux mêmes qui en jouent entre eux la comédie, et qui en ont le secret, commencent a s’en dégoûter ? On cherche à arriver au ministère par surprise, par hasard, en se donnant modestement comme un pis-aller, sans avoir pris la peine de provoquer dans le pays un grand mouvement d’opinion, ni d’avoir, dans les Chambres formé une majorité autour d’un programme. De la le caractère empirique et nécessairement provisoire