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dans son âme le jour où il s’est trouvé placé entre la presque-certitude de perdre sa couronne ou l’obligation de consentir à ce que son fils fût élevé dans la religion orthodoxe ! Henri IV, autrefois, a jugé que Paris valait bien une messe, et l’histoire a fait plus que l’en absoudre, elle l’en a glorifié. Mais la bonne grâce résolue et l’espèce de désinvolture qu’il a mises dans sa conversion permettent de croire que, pour un motif ou pour un autre, il n’a pas eu à faire de sacrifice de conscience bien douloureux. Il n’en a pas été ainsi du prince Ferdinand. Et peut-être y a-t-il quelque chose de plus pénible encore et de plus délicat à prendre un engagement de ce genre pour un enfant irresponsable et sans défense que pour soi-même. Mais ce sont là des choses qui ne regardent que le prince Ferdinand. Il a fait un acte politique, et il s’y est certainement déterminé par des motifs d’un grand poids ; car enfin il devait beaucoup à la Bulgarie : il avait aussi charge d’âme envers elle ; on n’accepte pas de gouverner un peuple sans contracter avec lui une alliance qui va jusqu’à la fusion de tous les sentimens. Si le prince Ferdinand s’était converti lui-même on n’aurait pas cru à sa bonne foi, contre laquelle tout son passé aurait protesté. Il a donné son fils tout entier à sa patrie d’adoption et les hésitations mêmes qu’il a éprouvées, montrent à la fois l’étendue et la sincérité de son sacrifice. Le trouble de son esprit l’a même amené à faire une démarche qu’il est permis de trouver surprenante. Aller à Rome demander au pape l’autorisation de faire élever son fils dans une religion schismatique est certainement, quelle que soit la forme que le prince ait donnée à ses suggestions, une des choses les plus singulières d’une époque où on en voit pourtant beaucoup. Ce n’est pas à la papauté que le prince Ferdinand devait s’adresser, mais à cette autre souveraine des consciences royales qu’on appelle la raison d’État. Et c’est seulement à ce point de vue qu’il nous est permis de nous placer nous-mêmes pour juger l’acte qu’il a accompli.

Il y a mis une très grande solennité, comme on a pu le voir par sa proclamation au peuple bulgare. Un cri plus humain lui a échappé lorsque, recevant le bureau et le président du Sobranié, il a dit en termes toujours un peu trop emphatiques : « L’Occident a jeté son anathème sur moi ; 1`aurore de l’Orient enveloppe de ses rayons ma dynastie et notre avenir. » On ne voit pas très bien ce que le prince vent dire lorsqu’il parle de l’Occident qui lui aurait jeté un anathème ; Î quant à l’Orient dont l’aurore rayonne sur lui, il comprend sans doute la Russie et la Porte. L’envoyé du tsar et celui du sultan sont arrivés à la fois à Sofia pour assister au noms de leurs souverains au baptême du petit prince Boris, et peut-être faut-il voir dans cette rencontre une manifestation de l’entente plus intime qui existe depuis quelque temps entre Constantinople et Saint-Pétersbourg. On a d’abord annoncé cette entente, puis on l’a contestée. On en avait