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peu d’attention à cette querelle domestique du cabinet de la reine, car le noble vicomte reçut le coup sans se plaindre. « Lorsqu’un homme donne sa démission, disait-il à lord Broughton, on s’attend à ce qu’il dise pourquoi ; mais lorsqu’on l’éloigne, c’est à ceux qui l’ont écarté d’en faire connaître la cause. » Un incident aussi significatif prouve néanmoins jusqu’à quel point les choses de France provoquaient les préoccupations des cabinets, et combien le nouveau gouvernement français avait besoin de se montrer prudent pour éviter de les ameuter contre lui[1].

Cet état d’isolement et de faiblesse relative du second empire napoléonien ne devait cependant pas être de longue durée. Napoléon III sut, avec une très grande finesse, se rendre persona grata à la cour d’Angleterre. En lisant les notes intimes de la reine Victoria — dans le livre si intéressant de sir Théodore Martin, le Prince Albert — on suit pas à pas le chemin que l’Empereur eut l’habileté de faire dans le cœur de cette princesse et de son époux. Dès l’année 1850, n’étant encore que président de la République avec un pouvoir très précaire, il ne craignit pas d’intervenir dans le fameux conflit survenu entre l’Angleterre et la Russie, à propos de l’incident de l’Anglais M. Finlay et du Portugais Dom Pacifico. Ces deux puissances étaient sur le point d’en appeler aux armes, lorsque l’heureuse médiation de la France, qui pourtant avait, elle aussi, à se plaindre des procédés diplomatiques de l’Angleterre, parvint à les concilier. Ainsi, Louis-Napoléon, soit comme président, soit ensuite comme empereur, s’appliquait, selon l’expression de Cowley, à dissiper en Angleterre « les préjugés qu’il supposait exister contre lui ». Ce nouveau courant sympathique s’affirma résolument lorsque, sur l’invitation de Napoléon III de se rencontrer au camp de Boulogne, le prince Albert répondit qu’accepter était pour lui « un devoir bien doux à remplir », puisque ce devoir « lui procurerait le plaisir de faire sa

  1. Il faut cependant noter que dès 1819, Louis-Napoléon, alors président de la République, malgré la faiblesse de son pouvoir à l’intérieur comme à l’extérieur, manifestait déjà ses sympathies pour l’Italie avec une singulière énergie. M. A. Castelli, dans ses Ricordi, publiés par les soins de M. le sénateur Chiala, raconte, à la page 94, ce qui suit : « En 1851, me trouvant à Paris pour une mission que m’avait confiée le gouvernement, je fus présenté à M. Thiers ; je me rappelle qu’un jour, en prenant congé de lui après une longue conversation sur les choses d’Italie, il me dit qu’il avait été, en 1849, chargé par Napoléon, président de la République, de s’interposer entre le ministre plénipotentiaire autrichien et le nôtre pour la fixation de l’indemnité de guerre demandée par l’Autriche, et que Napoléon l’avait autorisé à prononcer la parole de guerre si l’Autriche avait persisté dans ses injustes prétentions. »