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notre temps : il donnait satisfaction au double besoin de douter et de croire.

Tous les autres maîtres qui ont enseigné la philosophie à l’École normale peuvent revendiquer l’honneur d’avoir à leur tour, quoique d’autres manières et par d’autres doctrines, contribué au mouvement idéaliste. L’un d’eux, — pour suivre l’ordre historique, — ramenant les Idées de Platon du ciel sur la terre, espérait, à tort ou à raison, concilier l’idéalisme et le naturalisme : il entreprenait de montrer en chaque idée une force qui se réalise dans la mesure où elle conçoit et désire sa propre réalisation ; de restaurer dans le déterminisme l’idée et le désir de la liberté ; de réintégrer dans l’évolution de la nature les facteurs psychiques et les états de conscience ; de rétablir dans l’évolution de la société non seulement les droits, mais l’action efficace de l’idéal ; et enfin de représenter la sociologie comme capable de nous faire entrevoir les lois les plus radicales de la cosmologie. Un autre, peu après, profondément versé dans la philosophie allemande et au courant de tout le progrès des sciences, s’efforçait de briser les mailles de la nécessité mécanique, pour faire place à une spontanéité qui assurât la « contingence des lois de la nature[1] ». D’autres montraient la part de la volonté, soit dans la « certitude morale », soit dans l’ « erreur » ; ou préparaient des livres de psychologie destinés à devenir bientôt classiques ; ou mettaient en lumière l’influence de l’idéalisme français sur l’idéalisme anglais au XVIIe siècle[2].

En dehors de toute école, un esprit hardi et indépendant, trop tôt enlevé à la philosophie et à la littérature, avait grandement influé, pour sa part, sur l’orientation morale de la jeunesse. On l’a répété bien des fois non seulement en France, mais en Angleterre et en Allemagne, nul philosophe, nul moraliste peut-être n’a traduit avec plus de sincérité et d’émotion que Guyau les aspirations les plus diverses de notre temps. Son Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction pouvait, à première vue, paraître ébranler les fondemens de la morale ; en réalité, elle conviait les esprits à une idée plus haute de la moralité

  1. M. Emile Boutroux, outre la Contingence des lois de la nature (2e éd., 1895), a publié l’Idée de loi naturelle ; la traduction de l’Histoire de la philosophie grecque, par Zeller avec une introduction, des études sur les Stoïciens, sur Socrate, sur Leibnitz, sur Jacob Boehm, des articles importans sur Aristote et sur Kant dans la Grande Encyclopédie, des ouvrages de morale et de pédagogie : Questions de morale et d’éducation, etc.
  2. M. Ollé-Laprune : la Certitude morale, la Philosophie de Malebranche, la Morale d’Aristote, etc. : M. Brochard : l’Erreur, les Sceptiques grecs, etc. ; M. Rabier : Psychologie, Logique ; M. Lyon : l’Idéalisme anglais, la Philosophie de Hobbes, etc.