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de M. d’E… un peu de conchyliologie. Je suis bien de votre avis, madame, les sciences naturelles n’offrent d’intérêt que par les généralités, mais il est bon qu’il y ait des gens qui étudient trois ans et dix ans les lavandes pour qu’on connaisse mieux les lois générales et si curieuses de l’organisation des végétaux. Et à propos de végétaux, connaissez-vous les palmiers de Bordighera, près de Menton ? Ils fournissent à une partie du nord de l’Italie des palmes pour le dimanche des Rameaux ; mais les feuilles de quelques arbres croissent pliées de la manière la plus étrange, recoquillées, plissées comme un jabot. Si j’étais resté à Cannes ce carême, je vous aurais envoyé une de ces palmes bénites.

Vous avez raison contre moi, madame, sur le fait de saint Paul. Cependant ma remarque subsiste en ce que sa doctrine est sans contredit la plus libérale et la plus générale, et qu’il s’est appliqué plus constamment à détruire les préjugés païens. Bien que citoyen romain, il était Grec de langue et d’esprit. Vous connaissez ma partialité pour tout ce qui est grec. C’est peut-être le secret de mon admiration pour saint Paul. J’en demande pardon à saint Pierre.

Je viens de lire un livre qui m’a intéressé, c’est le dernier volume de la correspondance du comte de Maistre. Un homme d’esprit se dévouant à servir les plus grands imbéciles, continuellement contrecarré dans ses efforts pour leur ouvrir les yeux sur leurs véritables intérêts, et n’y parvenant jamais, n’est-pas une sorte de long martyre presque aussi touchant que s’il eût sacrifié sa vie ? Puis le caractère de l’homme est si carré, si vigoureux et énergique que, bien que nous n’ayons guère deux opinions communes, je ne puis m’empêcher de l’aimer. Connaissez-vous son fils ? A-t-il une fille ? Les filles en général héritent de l’esprit des pères.

Je n’ai pas vu à Cannes M. de C… Il vivait fort retiré et moi de même. Je n’avais pas d’introducteur auprès de lui. Quant aux esprits frappeurs, j’y croirai quand ils auront fait un sonnet spirituel au lieu des tours de passe-passe qui leur sont ordinaires. Dans ma jeunesse, j’ai étudié la magie. J’ai tiré la bonne aventure et j’ai fait plus d’une prédiction qui s’est vérifiée. J’ai prédit à l’Impératrice qu’elle monterait sur un trône, j’ai prédit la naissance du prince impérial, ou plutôt que ce serait un garçon, la veille de sa naissance. J’ai fait tourner des tables, et une fois la tête d’une gouvernante, une fort jolie personne, qui avait bien envie de faire des folies et à qui je donnais, par la magie, de très bons conseils. Mais c’est précisément à cause de cela que je ne crois plus aux esprits. Si vous voulez me confier un enfant de huit ans pendant une semaine, je m’engage à lui faire voir toutes