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ne les connaît plus, si jamais il les a connus. Il n’y a donc pas à compter sur une soudaine poussée de scrupules, sur une subite illumination de conscience, qui, dans une seconde et non moins mémorable nuit du 4 août, inclinerait et obligerait presque nos politiciens à un suicide que de si nombreuses raisons, et de si bonnes pourtant, justifieraient.

Il serait chimérique, on l’avoue, de s’en remettre de ce soin à un parlement médiocre et égoïste, incapable de voir et d’entendre au-delà des couloirs où il s’agite ; qui se noie en de petites intrigues, ne se raccroche qu’à de petites passions, se fait à lui-même une atmosphère artificielle où tout se rétrécit et se dessèche, professe que la terre tourne, puisqu’il y a un ministère, et ne sent pas qu’il a coupé ses communications avec la vie. Mais ce n’est pas être trop naïf et prêter à rire à ceux qu’aveugle et assourdit la possession d’état que de compter sur une force qui, après tout, mène le monde : la force des choses. — Force indéfinie et indéfinissable, faite des fautes des uns et du dégoût des autres : avec laquelle conspirent, en tout temps, le mécontentement et même l’indifférence ; avec laquelle conspire, en ce moment, la lassitude des millions de braves gens pour qui le scandale n’est pas le pain quotidien ; tandis que, plus haut ou plus près des pouvoirs publics on s’étonne, et l’on s’inquiète, de voir ce que sont, depuis quelques années, et ce que font les pouvoirs publics. — Or, la force des choses qui peu à peu nous écarte d’une forme du gouvernement représentatif usée, vidée et discréditée, peu à peu aussi (nous voulons du moins l’espérer) nous en apportera, grâce à un mode de suffrage meilleur, une forme plus jeune, plus pleine, plus riche en œuvres et en hommes.

Quand donc ? Dans un délai qui sera peut-être assez long, qui peut-être sera, de beaucoup, plus court qu’on ne l’imaginerait. Cette force, dont on ne sait pas seulement au juste ce qu’elle est, on en saurait encore moins calculer la vitesse ; mais il est sûr qu’elle ne cesse pas d’agir. Comment s’opérera la transformation ? On ne le sait pas davantage et, à la vérité, dans la procédure ordinaire, elle semble impossible à prévoir ; mais il est sûr que, celle-là ou une autre, une transformation s’opérera — et, si l’on ne sait ni quand ni comment, on sait bien pourquoi. — Parce que, d’une part, ce qui est impossible, moralement et matériellement, c’est que « cela dure et cela marche ainsi » ; parce que, d’autre part, là est l’unique solution libérale, et l’on ose ajouter : démocratique, à la crise de l’État moderne. Disons plus, en disant tout court : là est l’unique solution à cette crise, puisque le collectivisme révolutionnaire, non plus qu’un