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jusqu’à la presqu’île de Malacca, à l’Est jusqu’à la rivière de Canton. Comme les Laotiens, ils sont tatoués et portent leurs cheveux en chignon. Les Lochais, voisins des Lolos, ont l’humeur farouche ; nos voyageurs obtinrent difficilement la permission d’assister à leurs danses. Ils eurent moins de peine à faire danser les Lissous des bords du Mékong, dont les rondes sont pittoresques et rappellent la bourrée d’Auvergne, Ces beaux danseurs aiment à chanter, et dans leurs improvisations ils célèbrent les louanges « des grands hommes qui, en passant chez eux, leur apportent la paix et la prospérité. » Quelques mois plus tard, le prince Henri et ses compagnons feront connaissance, près du bassin de l’Iraouaddy, avec les Kiouts, qui ne ressemblent à personne et n’ont d’autre vêtement qu’une ceinture : ce sont de beaux hommes de taille moyenne, au teint pâle, aux grands yeux, aux traits réguliers, dont la figure fine est abritée sous une forêt de cheveux noirs qui leur tombent sur les épaules et sont coupés en couronne sur le front.

Le héros-diplomate qu’Homère a chanté aimait à visiter les peuples étrangers, et il était habile à connaître leurs pensées. Ce n’est pas une petite affaire que de connaître les secrètes pensées des Mossos, des Lolos et des Lochais. Ces peuples souvent très voisins ont des mœurs très différentes. Les uns sont durs comme les rochers auxquels ils disputent leur maigre existence ; d’autres sont timides, craintifs ; d’autres aiment le plaisir, les amusemens, la parure ; ceux-ci ont le brigandage dans le sang, ceux-là se contentent de rançonner les passans. Il faut, en traitant avec eux, les prendre par leur faible, leur parler la langue qu’ils comprennent. Le prince Henri a retrouvé à Khampti, dans une plaine traversée par la branche occidentale de l’Iraouaddy, ces mêmes Thais, qu’il avait vus au Laos et dans le Yunnan. Ils lui parurent plus civils, mais moins hospitaliers que les sauvages au milieu desquels il venait de vivre : « Après six jours de palabres d’autant plus longs que pour expliquer la moindre chose il nous faut passer par une chaîne de quatre interprètes, nous sommes obligés, pour obtenir des vivres et des guides, de céder plusieurs winchesters et une somme rondelette de roupies. Je me console en me rappelant que jadis, au Thibet, nous avons dû causer pendant quarante jours pour obtenir le droit d’avancer. » Le jour de son départ, le fils du roi lui fît savoir qu’il serait heureux d’avoir ses bottes. Demander ses bottes à un voyageur qui depuis quelque temps déjà était réduit à aller à pied ! Ce fils de roi fut refusé tout à plat.

Ce qui facilitait un peu les choses, c’est que la caravane s’était acquis une bonne réputation, qui les précédant sur les routes et colportée de village en village, leur procurait presque partout un honnête accueil. Cependant, si bien établies que soient les réputations, on est