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dans l’âme populaire, d’autres voix qui commencent à se faire entendre, et qui n’expriment pas tout à fait les mêmes sentimens.

Mais nous n’insistons pas : il y aurait de notre part quelque naïveté à discuter plus longuement ce point particulier. C’est en dehors des Italiens et de la sympathie qu’ils excitent qu’il faut chercher le but de l’expédition britannique. Ce but est tout politique. Toutes les fois qu’il a été question de l’évacuation de l’Egypte, le gouvernement anglais n’a pas manqué d’annoncer au monde qu’il était plein d’inquiétude au sujet du Soudan. Le mahdi est un personnage commode, dont on joue à volonté, et qui se prête à tous les rôles : le rôle devient menaçant aussitôt que les Anglais en ont besoin pour écarter, au sujet de l’évacuation, toute interrogation qui leur paraît indiscrète. Ne faut-il pas, avant tout, veiller sur la frontière et en assurer la sécurité ? Cette fois, le gouvernement de la Reine, obéissant sans doute aux suggestions énergiques, mais dangereuses, de M. Chamberlain, est allé plus loin qu’à l’ordinaire : il a annoncé le projet non seulement de fortifier la frontière, mais de la reculer très au loin vers le sud et, pour tout dire, de reconquérir, au profit de l’Egypte, la portion du Soudan qu’il lui a fait ou laissé perdre autrefois. Quand nous disons au profit de l’Egypte, on sait ce que cela signifie. Les hommes politiques anglais s’habituent de plus en plus, dans leurs discours, à confondre l’Egypte avec les autres pays placés sous leur dépendance : c’est une habitude que, quant à nous, il nous est impossible de prendre et contre laquelle nous ne cesserons de protester.

A-t-on fait à l’Angleterre, dans ces derniers mois, quelques insinuations au sujet du maintien injustifié de son occupation ? Peut-être. Elle y a répondu en annonçant la résolution d’entreprendre une affaire de très longue haleine, qui durera au moins six ans d’après un de ses ministres, mais, en réalité, tout juste le temps qu’on voudra. Rien dans l’état actuel du Soudan ne justifiait cette détermination qu’on doit regarder comme toute spontanée. Il est de notoriété publique que le gouvernement anglais était pressé de la prendre par quelques-uns de ses agens, auxquels leur situation avait permis de tout préparer pour l’exécuter. Comment des militaires, placés à la porte du Soudan, n’auraient-ils pas eu l’idée de la forcer ? Jusqu’ici le gouvernement anglais avait eu la prudence de ne pas céder à ces suggestions : aujourd’hui il franchit le pas, et, au risque de provoquer, dans un temps peut-être prochain, les complications les plus redoutables, il se laisse entraîner dans la voie des aventures. Il a rencontré d’abord une difficulté financière. Ayant voulu puiser dans les fonds réservés et affectés de la Caisse de la Dette, il s’est heurté à l’opposition de la France et de la Russie. Cette opposition était aussi prévue que pouvait l’être l’adhésion des autres puissances.