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gagneraient rien à la proscription de tout élément étranger ; ils perdraient beaucoup à la nationalisation des affaires réclamée par l’inintelligence de l’exclusivisme national.


III

Le personnel de la finance est moins cosmopolite qu’au moyen âge ; — en toutes choses, du reste, le moyen âge inclinait à une façon d’internationalisme ; — mais combien le marché est plus vaste ! Si les grandes affaires, la banque, le grand commerce, tendent, en dépit de tous les obstacles, à franchir les étroites limites des États, cela tient à toute notre civilisation ; car, quoi que l’on en pense, c’est notre civilisation elle-même qui redevient cosmopolite. Je retrouve ici, comme partout, l’action des grandes inventions modernes. La finance a dû, elle aussi, se faire à la vapeur et à l’électricité ; ses procédés en ont été changés, son domaine en a été démesurément agrandi, ses perspectives élargies. Il lui faut avoir l’œil ouvert sur les cinq parties du monde à la fois. Tous les marchés, toutes les Bourses d’Europe et d’Amérique sont reliées par le télégraphe et par le téléphone ; les mouvemens, les oscillations, les perturbations de l’un se répercutent, instantanément, sur les autres. Le télégraphe, dont ils entendent les appareils tinter sans repos, fait ressembler la Bourse et le Stock Exchange à de délicats sismographes qui enregistrent, chaque jour, tous les mouvemens en hausse ou en baisse des deux hémisphères. Pour le financier et le spéculateur, les différens États civilisés ne forment plus qu’un seul monde, presque une seule cité. Les divers pays se trouvent, malgré eux, de plus en plus solidaires. C’est pour la Bourse surtout qu’il n’y a plus de distance, et qu’il n’y a plus de frontières. La finance est un des grands agens de l’unification du globe et du rapprochement des peuples. Une révolution aux bords de la Plata, une guerre civile au Brésil ou au Chili a son contre-coup sur les rives de la Tamise et de la Seine. N’avons-nous pas vu les coupables folies de la République Argentine entraîner la chute de la plus ancienne maison de la City, et toutes les Bourses des deux mondes justement inquiètes de la liquidation Baring ? Le petit rentier de Paris ou de Francfort [voit ses titres baisser, parce que le Brésil ou le Pérou sont en révolution, parce que Cuba s’insurge contre l’Espagne, parce que le massacre des chrétiens d’Arménie menace la paix de l’Orient, parce que la baisse de l’argent métal amène une crise aux États-Unis. C’est que, on en a fait mainte fois la remarque,