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mal. Ce qui me fait plus de peine que je ne saurais dire, c’est que je ne crois pas que je voulusse revivre les années de ma jeunesse, peut-être même quand on m’offrirait de profiter de mon expérience pour les employer mieux que je n’ai fait.

Il m’est arrivé ici une chose singulière. Depuis cinq ou six ans j’étais poursuivi par un fantôme, ou pour parler moins poétiquement, j’avais un souvenir (non pas un remords) qui me rendait très malheureux. Je me suis aperçu l’autre jour que ce souvenir ne m’était rappelé que par accident, et qu’il n’était plus aussi pénible. Est-ce que je suis devenu philosophe ou que je commence à me momifier ? Le dernier est malheureusement le plus probable.

On me donne de bien tristes nouvelles de Mme de Boigne. Elle est fort malade et dangereusement. Il me semble que vous ne l’aimez pas. Pour ma part j’en fais grand cas. Il y a en elle deux personnes : la femme du monde qui veut avoir un salon et qui en fait le programme et la police ; puis une personne de cœur et d’esprit qui, dans l’intimité, a une foule de qualités qu’on s’étonne de rencontrer dans le monde. Je lui dois quelques bons conseils dont je lui serai toujours bien reconnaissant. Adieu, madame, je suis ici jusqu’à la fin du mois. Il y aura le 23 un discours encore plus intéressant que celui du P. Lacordaire, mais quitter mon soleil ! Diogène avait bien raison. Trois jours après mon arrivée, la Vierge de Velasquez sera chez vous, mais ne l’encadrez pas. Mettez-la dans un carton, et quand vous l’ouvrirez, pensez à l’artiste croûton qui est toujours bien heureux de votre souvenir et qui y trouve une consolation bien réelle dans les momens où les blue devils lui font la guerre.

Savez-vous que je suis inquiet de la santé du jeune C… ? Il est vrai qu’à son âge j’avais la force d’un lionceau et je ne puis m’accoutumer aux jeunes gens d’aujourd’hui. Il a un médecin homéopathe, et bien souvent je lui trouve mauvaise mine. Adieu, madame, veuillez agréer l’expression de tous mes vœux et mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMEE.


Cannes, 21 février 1860.

Madame,

Je crois comme vous qu’il ne faut pas trop compter sur le catholicisme de l’Académie française. Il est probable que, si l’empereur voulait rétablir l’autorité papale dans la Romagne, elle