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Je ne sais pas ce qu’est devenue l’autre pauvre sœur depuis la mort de son mari.

Je vais faire une petite course de quelques jours, je pense être à Paris dans les premiers jours d’avril. Je suis horriblement ennuyé de la société cette année, elle me paraît encore plus aigre que l’année dernière et malgré cela guère plus spirituelle. Adieu, madame, veuillez agréer l’expression de tous mes respectueux hommages.

PROSPER MÉRIMÉE.


Paris, 11 avril 1862.

Madame,

Il y a huit jours que je suis à Paris, ayant toujours sous les yeux la dernière lettre que vous m’avez adressée à Cannes, qui est pour moi un remords. Mais j’ai trouvé tant d’affaires et de tracas en venant ici que je n’ai pas eu le temps ou la disposition de vous écrire. Je suis toujours horriblement triste en rentrant à Paris. Il faut un courage surhumain pour quitter Cannes en ce moment, lorsque tout fleurit. Si vous pouvez vous figurer des champs entiers d’anémones rouges, bleues, roses et blanches, les unes simples, les autres doubles, des fossés et des lits de torrens tapissés de violettes de Parme, peut-être que cela vous donnera l’envie d’aller à Cannes. Au mois d’octobre prochain, ce sera la chose la plus facile du monde, car le chemin de fer sera ouvert jusqu’au Var, c’est-à-dire jusqu’à une demi-lieue de Nice. A partir de Toulon ce chemin n’est qu’une suite de panoramas charmans. Il faut faire ce voyage, ne fût-ce que pour y passer une semaine.

J’ai trouvé le peu d’amis que j’ai, encore vieillis, et quelques-uns m’ont paru radoter. Peut-être leur ai-je produit le même effet. Tout le monde m’a semblé aussi un peu plus aigre que je l’avais laissé. Quant à cela, moi je suis revenu très doux et moins méchant que je ne l’étais en partant. Je crois que la solitude dans un beau lieu est une bonne médecine pour l’âme. Elle perd ses épines comme font certaines plantes lorsqu’on les met en bonne terre.

Je n’ai pas eu le temps d’aller voir en passant l’évêque de Marseille, mais mes amies anglaises ont été se casser le nez à sa porte. Il était à la campagne avec sa sœur qui, dit-on, se porte remarquablement bien depuis qu’elle est dans le Midi. L’effet de ce climat particulièrement sur les natures du Nord est extraordinaire. Nous avons renvoyé le petit prince anglais engraissé, tanné et guéri. Il avait une drôle de maladie. Sa peau s’écorchait à la