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vie interne et de piété dont les autres fruits furent une foi sans défaillance, une charité sans bornes, et un rigoureux ascétisme personnel. Ne faudrait-il pas plaindre ceux à qui l’esprit de parti fermerait les yeux à cette origine toute spirituelle et religieuse du catholicisme très romain de Planning, ou qui se refuseraient à voir dans sa conception particulière du christianisme la source toujours jaillissante de ce large amour de l’humanité et de cette vue hardie des droits et des devoirs de la société dont s’inspira la dernière partie de sa carrière ? C’est ici le cœur même de notre sujet : disons-le donc encore une fois, si paradoxale qu’en puisse sembler l’assertion, l’ultramontanisme de Manning fut une forme de sa piété, une étape de son progrès spirituel, et c’est en lui qu’il trouva l’inspiration de son socialisme chrétien, le mobile de son activité populaire, le ressort et le régulateur de ses généreuses témérités de pensée, de langage et de conduite. Il serait absurde de forcer la note et de prétendre tirer de ce fait des conclusions générales, mais c’est un fait que Manning fut ultra-montain dans la mesure où il fut un grand chrétien, et qu’il fut l’apôtre du catholicisme réformateur et de la réforme sociale dans la mesure où il fut ultramontain.

Là est l’unité de sa vie. C’est aussi le message d’espérance et de consolation qu’il a voulu laisser à une génération lasse des négations du rationalisme et épouvantée des problèmes de la misère et du mal. Réconcilier en les faisant couler dans un même lit les deux grands courans opposés, dont l’un a abouti au concile du Vatican et à la proclamation du dogme de l’infaillibilité, pendant que l’autre, après avoir ébranlé ou renversé tous les postulats de la foi et tous les principes de la certitude, venait battre de ses Ilots furieux les fondemens de la société elle-même ; faire du pape, proclamé et reconnu le gardien incorruptible du dépôt de la révélation chrétienne, le chef d’une Eglise redevenue l’asile des souffrons et des opprimés ; montrer au peuple, désabusé des fictions du libéralisme doctrinaire, écrasé sous le poids des réalités du libéralisme économique, l’incomparable puissance d’affranchissement, de réparation et de régénération d’une religion tout ensemble de liberté et d’autorité ; en un mot faire de l’évangile du Christ, interprété et appliqué par son vicaire et par les successeurs des apôtres, la charte de l’humanité ; agenouiller l’Eglise devant la Croix et le monde devant l’Eglise, tel était le plan qui se formait peu à peu dans l’esprit de Manning.

Avec la même sincérité et la même passion qu’il défendait l’autorité spirituelle du Saint-Siège, il défendit son autorité temporelle. La politique insensée de Napoléon III venait de faire surgir dans toute sa gravité la question du pouvoir temporel.