Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les avoir dans sa collection. Les indigènes qu’il employa ne trouvèrent rien de mieux, pour les prendre, que de détruire une partie du mausolée[1]. C’est grand dommage, car il était un des spécimens les plus curieux de l’art carthaginois. Ce qui reste suffit à nous prouver que les Phéniciens, dans leurs monumens, se sont contentés de copier successivement l’Egypte et la Grèce : ce peuple marchand a toujours vécu d’emprunts.

La ville berbère et punique fut à son tour remplacée par une ville romaine : c’est celle dont les débris couvrent aujourd’hui le sol de Dougga.

Une ville romaine ne peut pas nous garder beaucoup de surprises ; toutes se ressemblaient. Ce n’est pas que les vainqueurs aient jamais songé à imposer aux vaincus une sorte de modèle uniforme auquel on était tenu de se conformer. Nous savons qu’au contraire ils intervenaient le moins qu’ils pouvaient dans les affaires des municipes, et d’ailleurs, comme en général ils ne payaient pas la dépense des édifices qu’on y bâtissait, ils n’avaient guère le droit d’en diriger l’exécution. Souvenons-nous que tous les monumens de Dougga, comme ceux des autres villes de ce temps, ont été construits aux frais de quelque personnage important du pays. S’ils ressemblent tout à fait à ceux des villes voisines, c’est qu’il l’a voulu ; il était libre de les construire sur d’autres plans, mais il tenait avant tout à plaire à ses concitoyens et il s’est conformé à leur goût. Voilà comment, sans qu’il y ait eu jamais un ordre donné par le pouvoir central, sans qu’on ait eu besoin de se concerter, par une sorte d’élan général et spontané vers la vie romaine, tout le monde occidental se trouva peuplé de villes dont l’aspect devait être à peu près semblable.

Il est donc inutile de parler de tous les monumens dont il reste quelque ruine ou quelque souvenir à Dougga. Je me contenterai d’insister sur les plus importans, sur ceux qui paraissent les plus essentiels à une ville romaine[2]. Et d’abord il est dans la règle qu’une ville possède des portes monumentales ; il faut que le Numide, quand il apporte les produits de son champ au marché ou qu’il vient y faire ses provisions, passe sous un de ces arcs de triomphe, qui portent le nom du maître et mentionnent ses victoires. C’est une façon de lui rappeler ce pouvoir souverain sous lequel il vit et qu’il est quelquefois tenté d’oublier. Voilà pourquoi les arcs de triomphe sont si nombreux et

  1. L’inscription bilingue de Dougga est aujourd’hui au British Museum.
  2. Je ne dis rien des aqueducs, quoiqu’en Afrique ce fût un des plus grands soucis des Romains de fournir leurs villes d’une eau abondante et pure. Il en reste un à Dougga, dont les débris sont encore visibles dans la plaine.