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Morris, lui, est un grand poète qui a donné peut-être au socialisme ce que la nature avait destiné à l’humanité. Il est trop foncièrement indiscipliné pour s’attarder longtemps dans un groupe : ce socialiste est, par tempérament, un réfractaire. Pour M. Herbert Burrows, c’est un peu une âme en peine depuis qu’en renonçant à la théosophie et à ses Mahatmas, il a du même coup perdu l’amitié de Mme Annie Besant. Quant à M. Belfort-Bax, c’est un dictionnaire vivant et c’est un original. Il sait tout sur tout. Il n’y a qu’une chose qu’il ignore — et celle-ci, sans doute, il l’ignorera toujours, — c’est ce qu’il veut : le vrai but de cette inlassable activité et quel chemin y conduit. Il a bien vite vu que ce n’est pas M. Hyndman qui a la clef de ce mystère.

À la fois assez analogue à la S. D. F., et pourtant radicalement différent d’elle, le Parti ouvrier indépendant, l’I. L. P., est lui aussi en grande partie le produit d’une personnalité. M. Keir-Hardie, fondateur et chef, n’est assurément pas le premier venu. Il a fait un peu bruyamment son entrée dans la vie publique quand, élu par le bourg métropolitain de West Ham au Parlement de 1892, ce nouveau Thivrier effaroucha les gardiens de la pudeur de la Chambre des communes en se présentant dans le premier club de Londres avec une casquette mauvais-sujet et une veste de velours. Par bonheur l’Angleterre parlementaire a des trésors de libéralisme en fait d’étiquette et de garde-robe. M. Keir-Hardie s’est bientôt signalé par d’autres actes d’insubordination. On aurait dit qu’il eût pris à tache d’adopter en tout le contre-pied de son collègue et ex-ami, John Burns. Celui-ci cache sous sa rondeur beaucoup de finesse. Il n’est pas de ceux qui poussent la fidélité à leurs principes jusqu’à les desservir à force d’intransigeance. Il a, en tout bien tout honneur, sa petite pointe d’ambition personnelle. Depuis qu’il est député de Battersea, son point de vue a considérablement changé, et il l’admet franchement. Plus ne commanderait-il les charges de la foule au dimanche sanglant de Trafalgar Square ! Plus ne confondrait-il dans un même anathème toutes les classes, tous les rangs, tous les partis, presque tous les citoyens de son pays’ ! John Burns n’est nullement un traître. Il veut aboutir. Au Parlement et au conseil de comté il a déjà plus obtenu pour le bien de ses compagnons de travail et la réalisation de son programme de socialisme pratique que tous les déclamateurs pendant tout le XIXe siècle. Pour cela il lui a fallu s’allier au parti libéral. Voilà ce que Keir-Hardie et consorts ne pardonnent pas à l’honnête John. Contre sa réélection à Battersea, ils ont épuisé avec la S. D. F. leurs efforts. Keir-Hardie a sacrifié sa vie politique à cette espèce de duel. C’est un fanatique. Comme