Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les autres systèmes qui ont été successivement présentés par tels et tels ministères a donné plus d’opportunité à cet expédient. Il occupera sans doute une grande place dans les prochaines discussions parlementaires. Cela ne veut pas dire qu’il sera voté. On oublie un peu trop que, de toutes les réformes fiscales, celle des boissons ne s’est pas montrée jusqu’ici la plus facile à opérer. Elle fait la navette entre la Chambre et le Sénat depuis déjà plusieurs années. Le Sénat vient de la voter une fois de plus, après l’avoir assez considérablement amendée, à la fin de la session dernière : le tour de la Chambre est revenu, que fera celle-ci ? Nous n’essayerons pas de le prévoir ; mais il est à craindre que les vœux émis par un certain nombre de conseils généraux ne rendent pas la solution aussi aisée qu’on pourrait le croire. Notre appareil parlementaire et législatif ne comporte guère que des demi-résultats, faits de compromis, de concessions, de transactions réciproques : si on lui demande des réformes radicales, on s’expose à n’en rien obtenir.

A chaque session suffit sa peine : il serait prématuré de parler dès maintenant de celle qui s’ouvrira en octobre prochain. L’état moral du pays ne nous fournit à ce sujet aucune indication sûre. Cet état est, pour le moment, aussi calme qu’il l’était peu il y a quelques mois, et rien ne montre mieux à quel point était artificielle l’agitation, si vive en apparence, qu’avait soulevée un peu partout le ministère radical. Le mouvement déchaîné par M. Bourgeois et ses amis s’est arrêté tout seul. C’est à peine si on en retrouve quelques traces. Les radicaux ont besoin du pouvoir pour faire figure. Ils sont merveilleusement habiles, et surtout hardis à en exploiter à leur profit toutes les ressources. Ils ont une clientèle encore plus qu’un parti, et leur clientèle ne se montre active, remuante et vraiment confiante que lorsqu’elle est bien desservie et pourvue. Alors les radicaux se sentent et deviennent presque quelque chose : hors de là, ils ne sont plus rien. Nous ne parlerons pas de même des socialistes et des collectivistes ; ceux-ci ont un parti, ils ont un programme, ils peuvent croire ou faire croire qu’ils ont des idées et des principes ; ils promettent beaucoup ; ils parlent à la fois aux imaginations et aux appétits ; eux seuls sont un danger véritable. Toutefois, quelque puissant, ou du moins quelque inquiétant qu’il soit déjà, le socialisme est encore très éloigné d’atteindre le pouvoir ; il le sait, il ne se fait aucune illusion à cet égard ; aussi ne cherche-t-il qu’à y pousser le parti radical. Celui-ci est condamné, bon gré, mal gré, à faire les affaires du socialisme, et M. Bourgeois a beau, comme il vient de le répéter à Figeac, se déclarer partisan résolu de la propriété individuelle, M. Jaurès et M. Millerand ne font qu’en rire ; ils ne prennent même pas la peine de s’en fâcher ; ils savent fort bien que, le jour où il arriverait de nouveau au ministère, M. Bourgeois ne pourrait pas se passer de leur concours. Il serait à leur merci, comme il l’a été pendant les quelques