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lesquelles l’aigle terrible qui m’étreignait prétendait m’étouffer, » — Pontécoulant veut prendre l’offensive. L’accusation qu’il élève est imprévue. A-t-on remarqué que les erreurs signalées et commises presque à chaque page, sont relatives à des questions très élémentaires et très simples ? Pourquoi ? c’est que les questions transcendantes sont de trop haute portée pour Arago et pour ses amis. Ils n’ont pas signalé d’erreur dans les pages consacrées aux hautes théories ; donc ils ne les ont pas lues.

Les jeunes aspirans aux fauteuils académiques, qui acceptent le vil métier de lire un livre de science et d’en souligner les erreurs, — il les désigne clairement, — Sturm, Liouville, Lamé, Le Verrier, Delaunay, nos maîtres alors, n’ont jamais passé la portée des études élémentaires, et sont obligés d’abandonner les écrits qu’ils critiquent dès qu’ils les voient s’élever jusqu’aux sublimités de la mécanique céleste. Ce n’était pas d’ailleurs comme auteur d’un traité de mécanique qu’il se présentait à l’Académie, et il y avait mauvaise foi évidente à alléguer contre sa candidature des erreurs qu’il a pu y commettre. Ainsi pourrait parler un candidat au baccalauréat à qui l’on a adressé une question en dehors du programme.

Arago, sans avoir composé sur les mathématiques aucun travail original, inventé aucun théorème, découvert aucune méthode, était savant en mathématiques et prompt à les comprendre. Chaque lundi, à l’Académie des sciences, il se plaisait, sur certains sujets surtout, à développer les mémoires présentés par de jeunes géomètres. Pendant plusieurs années, à l’Ecole polytechnique, il avait été chargé du cours sur la théorie des surfaces, que les élèves appelaient le gros Monge, pour le distinguer des leçons sur la géométrie descriptive, ouvrage du même géomètre beaucoup plus élémentaire. Quarante ans après, il se souvenait de ces théories difficiles et prenait intérêt à leur progrès.

Les classiques d’Arago en mathématiques, étaient Monge et Lagrange. Il ignorait, très certainement, comme le lui reprochait Libri, un grand nombre de termes employés par des géomètres de grand mérite et de grande fécondité. Quand le néologisme devient une habitude, l’ignorance devient un droit.

On aurait pu, presque aussi justement, disons tout aussi injustement, reprocher à Dumas d’ignorer la chimie, qu’à Arago d’ignorer les mathématiques. Il m’est arrivé souvent, ayant à lire le titre d’un mémoire de chimie, — mon rôle n’allait pas plus loin, — de me tourner vers mon illustre confrère, pour lui en demander l’explication ; il m’a répondu plus d’une fois : « J’ignore cette langue nouvelle. » Wurtz la savait alors, l’ayant inventée en partie, mais Henri Sainte-Claire-Deville ne l’a jamais apprise.