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ESSAI SUR GŒTHE

IV.[1]
LE POÈTE DE COUR

Au lendemain de la publication de Werther, Gœthe, à peine âgé de vingt-cinq ans, se trouva célèbre. Mais ce n’était point sa véritable nature que manifestaient les deux œuvres qui venaient de lui conquérir la faveur publique : des influences étrangères l’avaient conduit au romantisme, des rêveries de jeune homme au sentiment ; comme il n’était en réalité ni sentimental ni romantique, il se trouva pour ainsi dire embarrassé d’un être artificiel entré en lui-même, dont son instinct et les circonstances de sa vie allaient le délivrer. Ce travail, en grande partie inconscient, s’accomplit avec une extrême lenteur, pendant un séjour prolongé, monotone et vide, dans la petite cour de Weimar. Il fallut plus de dix années à l’homme qui avait si lestement enlevé Gœtz de Berlichingen et Werther pour donner une nouvelle œuvre digne de ses débuts. Et quand il reparut sur la scène littéraire, paré de ses nouveaux titres, auréolé de la légende qui s’était formée autour de lui, mûri pour une gloire plus éclatante et plus universelle, il était entièrement transformé. Aucun trait du petit bourgeois de Francfort, de l’ancien étudiant de Strasbourg, du nuageux stagiaire de Wetzlar, ne subsistait en la brillante personnalité du conseiller von Gœthe. Avant de chercher dans une de ses œuvres nouvelles les lignes et le sens de sa transformation, nous voudrions rappeler sommairement les

  1. Voyez la Revue des 1er juillet, 1er avril et 1er septembre 1895.